mardi 30 avril 2013

A propos de la laïcité positive préconisée par Nicolas Sarkozy


On ne peut comprendre la prise de position du Président de la République en faveur du religieux et de la laïcité positive si on ne replace pas sa démarche dans un contexte plus vaste.

Un des grands événements du 20eme siècle a été sans doute, la Résurrection d’Israël. Celle-ci se situe dans un environnement politique bien précis. Cependant elle le déborde largement.

Après la chute de l’empire  Ottoman, à la fin de la première guerre mondiale, Anglais et Français se partagent ses dépouilles. La Grande Bretagne s’attribue entre autres bénéfices, mandat sur la Palestine. Ultérieurement la déclaration Balfour prévoit la création d’un Etat juif, sous la pression du mouvement sioniste, sur une terre demeurée musulmane depuis le 11eme siècle.

La deuxième guerre mondiale rendra ce Retour plus urgent et nécessaire encore. 1948 sera l’année de la création de l’Etat d’Israël  en accord avec les Nations-Unies.

Cette explication purement politique cependant est insuffisante pour épuiser la signification authentique de ce Retour. C’est parce que celle-ci s’avère impuissante à l’appréhender, que les Nations ne peuvent trouver de remède au problème du Moyen Orient.

Israël resitue la question de Dieu au cœur même de la civilisation. Elle ressource l’Eglise au tronc judaïque et replace l’Islam devant le problème de la modernité.

Les structures de l’Etat Nation en France, tant louées par les tenants de la laïcité se sont avérées impuissantes à résoudre le problème des minorités et à les intégrer. Elles n’ont pu empêcher ni l’Affaire Dreyfus ni Vichy.

Le déficit symbolique et la dictature bonapartiste, induit par la Révolution, la mort du Roi, symbole de Dieu, du Père et de tout principe d’autorité, ont débouché sur la Terreur et la dictature bonapartiste. La toute puissance de la Raison a conduit aux dictatures marxistes. C’est à Paris que se sont formés Pol Pot et autres Lénine.

Lorsque l’on porte atteinte au nom de principes abstraits, à la question de Dieu, qui est au cœur de l’homme et de la création, le totalitarisme a la tentation  d’occuper cet espace vide.

C’est ce qui est advenu.

Comme le dit si bien Hanna Arendt, « la notion d’Homme », au sens révolutionnaire du terme, est une pure abstraction. On sait ce qu’est un bourgeois ou un prolétaire. Un Homme, on ne l’a jamais vu.

C’est la raison pour laquelle ces « droits de l’Homme » ont été balayés si aisément par Vichy.

Aujourd’hui, dans le cadre de la construction de l’Europe et dans sa relation de celle-ci aux Etats-Unis d’Amérique, la France apparaît vulnérable en raison de son déficit symbolique.

Cependant l’ambition de Nicolas Sarkozy n’est pas de supprimer le principe de laïcité, mais de l’aménager. Il s’agit que ce principe qualifié désormais de « laïcité positive » puisse intégrer les différentes minorités qui se pressent aux portes de l’Europe et à celles de la France, qu’il soit suffisamment puissant pour prendre en compte l’homme musulman ou l’homme africain dans son identité pleine.

Si le Président de la République renvoie à une référence, c’est à la Loi au sens sinaïtique du terme, et à la toute puissance du monde anglo-saxon fondée sur la présence de Dieu.

La Pensée Unique a fait son temps, celle des droits de l’homme de 1791, et d’un principe étroit de la laïcité qui ont suffisamment montré leur impuissance face aux extrémismes.

Nicolas Sarkozy cicatrise la plaie, celle du parricide, non pas pour amener la France à un retour au catholicisme mais à une reprise en compte beaucoup plus vaste de la question du Père. Ce processus est d’ordre psychanalytique.

Cette reprise en compte porte en elle-même la création de l’Europe future. Celle-ci devra se dire catholique, protestante, juive, laïque. Elle devra intégrer toutes les composantes de sa culture.

Je réponds d'avance aux interrogations à propos d'une Europe plurielle qui serait en même temps musulmane.

La culture dans laquelle nous avons été instruits nous a appris que Charles Martel avait vaincu les Arabes à Poitiers.

Quant à la bataille de Lépante, qui a arrêté la menace d'invasion turque vers l'Europe, elle est une des grandes dates de notre histoire.

L'Islam se situe hors de celle-ci et à part peut-être Cordoue, ne lui a rien apporté.

La Grèce, notre mère,  a mené  contre les Turcs un combat terrible pour sa libération.

En tout état de cause la démarche du Président Nicolas Sarkozy n’est pas politique au sens étroit du terme. Elle se situe dans l’ordre du prophétique.

Elle replace la France à l’intérieur d’une histoire et d'un ordre universels.

« Le 21eme siècle sera spirituel ou ne sera pas. »


Edouard Valdman, écrivain, dernier livre paru : « Idéalisme français - Pragmatisme américain : une nécessaire union" L’Harmattan 2010

DEBRAY


Lorsque j'avais vingt ans, un jeune homme de ma génération me faisait rêver. Il s’appelait Régis Debray

En effet il s’était rendu en Bolivie après avoir publié un livre qui avait connu un très grand succès, "Révolution dans la Révolution", à propos de Fidel Castro.

Sa photo s'étalait dans tous les journaux du monde, car il venait d'être arrêté par la junte au pouvoir au moment même où il marchait sur les traces de Che Guevara. Celui-ci était abattu quelque temps après.

Le jeune homme avait un visage christique. Il était beau. Il incarnait le désir de révolution de toute une jeunesse, son exigence de justice.

L'Amérique du Sud à ce moment était la chasse gardée des Américains qui y entretenaient des bandes mercenaires assassines.

Ce garçon par ailleurs était un fils de famille. Sa mère était une amie du Général de Gaulle et appartenait au Conseil de Paris. Son père était avocat. Lui-même était normalien.

Il incarnait en conséquence le rêve de tout jeune intellectuel : joindre l'action au rêve. Il était après Byron et Malraux le dernier des grands romantiques.

Ma mère, qui était une femme simple et réaliste, et qui avait beaucoup de bon sens, me disait "Tu verras. Il n'a rien à craindre. Il sera bientôt ministre de la Culture".

Je la trouvais un peu prosaïque.

Le jeune homme se conduisit très bien, devant le Tribunal chargé de le juger. Il fut condamné à une lourde peine d’emprisonnement. Peu de temps après, il était cependant libéré. On n'a plus jamais entendu parler de ceux qui avaient été pris avec lui.

Quelque temps après encore, il se retrouvait dans le staff de François Mitterrand.

Ma mère avait raison.

Je me souviens qu'en 1981, le jour de l'élection de ce dernier, il est entré rue de Solférino, au siège du parti socialiste, par la grande porte, pas celle des militants qui, eux, n'avaient droit qu'à la porte basse du bâtiment.

Je me souviens aussi qu'il a été très étonné que le planton ne le reconnaisse pas. Il a été contraint de répéter deux fois son nom.

Le peuple passe par la porte du bas, les organisateurs par celle du haut. Cela m’a toujours très profondément choqué. Le clivage se fait dès l’origine et en tout lieu. Les uns militent et votent, les autres dirigent et touchent les prébendes.

En fait, la révolution et François Mitterrand n'allaient pas très bien ensemble et Régis Debray a été très vite marginalisé par plus malin que lui.

Entre temps il a trouvé le moyen de faire une déclaration contre Bernard Pivot depuis l'étranger. Ce dernier l’a évoquée au cours de son émission « Apostrophes ». Il aurait, aux dires de Debray, établi une dictature de la pensée à travers sa célèbre émission.

C'était vrai et assez courageux.

Il a été obligé de faire des excuses.

Il a été ensuite nommé Conseiller d'Etat, un cadeau que Mitterrand réservait à ses amis.

Une chose à retenir en sa faveur. Il n'a jamais évolué. Il est toujours resté fidèle au socialisme jusqu'à soutenir le président serbe, Miloscevic, contre les Américains.

Il avait d'ailleurs prononcé une phrase très significative et intéressante à propos de Malraux " Malraux est l'opium de la bourgeoisie".

De qui lui-même était-il l'opium?

La vérité est qu’il était animé par une immense soif de pouvoir et ses diatribes contre Jean Edern Hallier, Bernard Henri Lévy ou Philippe Sollers avaient fait date. C’était lui sans aucun doute le grand écrivain de sa génération.

Le problème est que tous ses idéaux avaient été balayés par l’Histoire. Le Socialisme s’était effondré. Il le savait si bien qu’il avait renoncé aux pré-bandes, au Conseil d’Etat, par exemple. Cela risquait de le desservir.

En fait il s’était trompé.

A l’occasion de dernier pouvoir socialiste cependant, il en remettait un peu.

Il était assez discret et prudent. On ne sait jamais.

Cependant le système avait beau lui faire de somptueux cadeaux. Il n’avait pas l’air satisfait.

Depuis longtemps, il rôdait autour d'un continent inconnu de son parti, de ses amis et de sa famille spirituelle : le continent juif. Son père était juif.

Comme beaucoup des siens, il avait rejeté la part spirituelle du judaïsme. Marx l'avait fait avant lui. Il ne pouvait parcourir l’espace qui sépare l’Histoire de la Prophétie.

Cela lui avait été dérobé ainsi qu'à ses semblables au moment de la Révolution française.

Cette dimension le tourmentait qu’il n’arrivait pas à assumer et qui aurait donné à sa vie une tout autre orientation. Pour cela, il eut fallu qu’il abandonne la pensée unique, le confort intellectuel de celle-ci et surtout un compagnonnage qui lui était très utile et à l’intérieur duquel il faisait carrière

Tel était son vrai drame, comme celui d’autres de ses contemporains, tel Max Gallo, Vernant, Stéphane Essel ou Edgar Morin. Ils avaient refoulé leur identité au profit du matérialisme historique.

Il entrouvrait de temps en temps une petite porte qui s'ouvrait vers le sacré.

La dimension Sainte selon Levinas, il ne l'avait jamais conçue et la plupart de ses amis juifs laïcs non plus.

Mais il y avait quelque chose auquel il n'avait jamais renoncé c'est le pouvoir. Il l’avait pris une première fois par l'image à Camiri, en Bolivie, puis avec François Mitterrand.

Sa dernière relation au pouvoir est sans doute la plus intéressante de tout son itinéraire.

L'académie Goncourt. La boucle est bouclée.

L'opium du peuple et de la pensée, c'est sans doute le restaurant Drouan où Régis Debray vient de rejoindre Bernard Pivot.

Gageons que Régis Debray et Bernard Pivot auront l'occasion de s'y entretenir des bienfaits en matière d'évolution de la pensée et de la permanence de la relation au pouvoir.

De la révolution à l’Académie Goncourt il n’y a qu’un pas, pour les enfants de la bourgeoisie.

Edouard Valdman

Vers l'abîme



Tout le mal vient du principe d’Egalité, de la mort de Dieu et des Droits de l’Homme tels que fondés sur ce meurtre en 1793.

A partir du moment où tout est égal, tout est néant. Les théoriciens de l’égalité, que ce soient Sartre ou  Marx, sont tous des maîtres es néant : liberté égalité, ou la mort.

Face à ce principe qui broie, détruit, réduit, coupe les têtes, s’érige celui de la Différence.

Comme l’exprime si bien Emmanuel  Lévinas face au même Sartre, si l’homme est relié à Dieu, c’est-à-dire à l’infini, il n’est plus égal mais différent. Il est singulier dans sa relation à l’absolu, au grand Autre.

La pensée de l’égal se déploie avant tout dans le pays des Lumières, dans celui de la toute-puissance de la Raison, c’est-à-dire en France, le principe de la différence dans les pays anglo-saxons.

Ceux-ci n’ont pas succombé au piège de la Révolution française. Les Anglais avaient renversé leur roi, bien longtemps auparavant. Ils l’avaient rétabli dans ses droits et avaient en même temps fondé une monarchie constitutionnelle.

A travers celle-ci, ils avaient maintenu le principe d’autorité, la symbolique du Père et de Dieu, comprenant dès alors qu’ils étaient indispensables au bon fonctionnement de la société, que la transcendance était irréductible.

Les Américains en sont les héritiers. Aux Etats Unis, il y a les Lumières accompagnées par la religion. C’est Dieu qui mène aux Lumières, contrairement à ce qui se passe en France où celles-ci conduisent à la mort de Dieu.

Le Président des Etats Unis prête serment sur la Bible.

La pensée politique anglo-saxonne ne réduit pas. Elle déploie. Chacun est singulier dans sa différence. L’Etat est bien présent dans sa symbolique mais il est réduit à peu de choses. La relation au Père qui est maintenu dans ses prérogatives est très libérée.

Ceux sont les Lumières associées à la religion qui fondent la puissance des Etats Unis.

En France, on est égal dans la pauvreté, dans le chômage. Le riche y est hautement suspect. Tout s’équivaut désormais, l’homme et la femme, le père et l’enfant, l’homosexuel et l’hétérosexuel, tout cela confondu dans la grande marmite de la laïcité.

Il s’agit en fait d’une société castrée qui n’ose se déployer dans ses différences.

Les juifs eux-mêmes n’y ont plus d’identité. Ce qui a fait leur pérennité, c’est-à-dire l’Election, n’existe plus. Eux qui ont toujours refusé de se mêler, de se mélanger, car ils savaient de toute antiquité que corps et esprit étaient étroitement mêlés ont oublié leur différence sous prétexte que la Révolution et les Lumières les avaient accueillis.

Il est étonnant de constater le nombre important de juifs de gauche dits laïcs, dans le présent gouvernement de François Hollande.

La plupart se sont convertis et sont fidèles en tous cas aux idéaux de la Révolution française, quand ce n’est pas à ceux de la révolution marxiste.

Ils reproduisent les mêmes analyses et les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs des années 1940, sous le regard irresponsable de leurs  rabbins.

Faute de pouvoir assumer son identité juive en raison de l’antisémitisme qui régnait de son temps, Marx a inventé « un monde d’égaux » dans lequel il n’y avait plus de juifs, certes, mais où il n’y avait plus d’hommes.

En se niant en tant que juif, il se niait en même temps en tant qu’homme.

Nous en sommes toujours là.

Cependant l’écart se creuse entre notre égalitarisme mortifère et ce qui se passe dans les pays anglo-saxons, entre les pays de la mort de Dieu et les pays de la différence.

Le problème est qu’à force de se nier, on en revient toujours au même point : ce qui ne peut se manifester à l’air libre va le faire dans les profondeurs du refoulé et fera ressurgir les anciens démons.

La négation du juif en 1940 renvoie à l’Holocauste et à la création de l’Etat d’Israël. La négation de l’identité française aujourd’hui est le ferment d’où naitront de nouvelles révoltes et conduit dialectiquement au Nationalisme.

L’Histoire n’enseigne rien, sauf que les hommes ont besoin apparemment de se retrouver dans des situations identiques pour se redéfinir à nouveau.

Dans l’étau français dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, ce qui apparait clairement, c’est la menace de la résurgence des anciens extrémismes.

Certes la configuration géopolitique a changé. L’ancien bouc émissaire juif est moins vulnérable. L’Etat d’Israël est bien présent.

Mais ce ne sont pas les boucs émissaires qui manquent.

Nicolas Sarkozy a été le dernier président à comprendre véritablement l’enjeu, à vouloir conserver le modèle français tout en entreprenant les réformes indispensables, celles de la flexibilité et du désengagement de l’Etat.

La crise et la mauvaise foi de ses adversaires l’ont empêché d’aller plus loin.

Son projet de la laïcité positive était visionnaire : refaire émerger les différentes spiritualités et religions à l’intérieur de la France aux côtés de la laïcité. C’est ce qu’il nommait la laïcité positive.

En se démarquant de lui, et en revenant à une conception rigide de l’Etat, à une manière totalitaire et jacobine, le gouvernement actuel entraine la France la fin de son modèle social.

Sous des traits apparemment différents, il est en train de s’effondrer face à un monde anglo-saxon seul prospère, malgré la crise.

L’ambiguïté vient du fait que le modèle français ou du moins ce que l’on nomme tel préserve un certain nombre de valeurs indispensables au bon équilibre des forces en Occident.

La France en effet, à travers l’Eglise catholique, a hérité de la culture grecque, c’est-à-dire du culte de l’art, de l’héroïsme et de la gratuité.

La Révolution n’a pas changé ces données fondamentales. Elle a renversé le vocabulaire mais elle a préservé un certain sens de l’Etat venu de Rome, qui a été encore renforcé par Napoléon.

Ces valeurs sont essentielles face au marché anglo-saxon. Ce sont celles de la dimension Tragique.

Cependant, elles n’ont rien à voir avec celles de l’assistanat, de la bureaucratie, telles que déployées actuellement par le pouvoir socialiste.

Ce n’était pas la Raison qui gouvernait la Grèce, bien qu’elle ait par ailleurs donné naissance à la science. C’étaient davantage le génie et la folie, la toute-puissance de la Création.

Le système le plus proche du modèle grec, c’est celui de la création en relation avec le Sacré.

Pour retrouver l’espace du Sacré, la France doit renouer avec les valeurs qui ont fait sa grandeur et qui ont été transmises par l’Eglise.

C’est en ce sens que le combat entrepris par celle-ci contre le mariage homosexuel est réconfortant.

Napoléon l’avait compris qui avait signé le Concordat avec le Pape, mais aussi Adenauer et De Gaulle qui avaient souscrit l’accord franco-allemand à l’intérieur de la Cathédrale de Reims.

Tout est fait actuellement pour réduire cet espace.

On assiste à une sécularisation générale de la société. Sous prétexte d’égalité et de laïcité, on coupe à nouveau les têtes, celles des créateurs, des riches, au bénéfice d’une médiocrité générale qui nous entraine vers le bas.

L’homosexualité, la désacralisation du mariage ne peuvent devenir les nouveaux signes de ralliement en France.

La droite ne pourra faire l’économie de cette relation au Sacré si elle veut revenir au pouvoir.
Si l’on veut à tout prix éradiquer les  racines de la France, on prend le risque d’un retour du refoulé qui peut nous ramener à un nouveau fascisme.

C’est le Front Populaire et la menace marxiste, ne l’oublions pas, qui nous ont amenés Hitler en même temps que la Crise de 29.

Sacré et grandeur sont inhérents à la France. Si l’on touche à cela, on attente aux valeurs mêmes de l’Occident. On prend le risque d’un retour au cataclysme.


Edouard Valdman, dernier livre publié « Demain, l’Occident ! », éditions L’Harmattan

jeudi 4 avril 2013

A propos d'une tribune de Georges Kiejman dans le Figaro (23 mars 2013)

Je connais Georges Kiejman depuis de nombreuses années. Nous nous sommes rencontrés au Palais de Justice de Paris. Nous appartenons tous deux à une petite confrérie, les Secrétaires de la Conférence du Stage. Nous cultivons quelque chose de parfaitement désuet, l’éloquence. Elle résiste mal aux assauts de l’Internet et autre raccourci du langage.

Georges Kiejman est un grand avocat. Depuis longtemps il est marqué à gauche. Il est célèbre pour avoir en son temps défendu Pierre Goldman. Il est surtout connu comme un ami de François Mitterrand, de sa famille et de ses amis.

Il a été Ministre délégué à la Justice durant l’un des deux septennats de celui-ci.

Récemment je l’ai entendu parler sur les ondes. Il disait qu’à Paris, on appartenait à des « familles ». Lui-même appartenait sans aucun doute à celle de la gauche. En fait son grand homme avait été Pierre Mendes France et il n’en démordait pas. Il avait cette admiration en commun avec Jean Denis Bredin, autre Secrétaire de la conférence et Académicien français, tourmenté actuellement par le pouvoir pour son arbitrage dans l’affaire Tapie. Il vient précisément de publier un livre à propos de Pierre Mendes France, « Le procès de Riom ».

Que Georges Kiejman, célèbre avocat, ait cru aujourd’hui de son devoir de prendre la parole dans un journal de droite, le Figaro, pour s’élever contre la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour le délit d’abus de faiblesse sur la personne de Madame Liliane Bettencourt, donne toute la mesure de la situation judiciaire dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Un juge d’instruction met en examen sans l’ombre d’un début de preuve un ancien Président de la République pour abus de faiblesse envers une personne dont tous les témoignages affirment qu’au moment des faits évoqués, elle était en possession de toutes ses facultés.

Georges Kiejman dans sa Tribune du Figaro (le journal Le Monde auquel il est davantage habitué, étant donné sa sensibilité politique, lui a refusé son article) analyse, décortique, prouve le côté partisan de cette procédure, son côté arbitraire.

Cet article est doublement important.

Il montre d’abord ce qu’est un avocat digne de ce nom, quelque puisse être par ailleurs, sa sensibilité politique. Celui-ci n’est pas d’un bord ou d’un autre. Il est du côté du Droit. Georges Kiejman donne là une leçon d’honneur et de probité.

Il élève la profession.

Par ailleurs, cet article montre ce qu’est un régime politique qui a perdu ses points de repère et pénètre désormais dans une zone très dangereuse, celle de l’arbitraire : personne ne pourra croire qu’un petit juge d’instruction puisse mettre de son propre chef en examen un ancien Président de la République sans en avoir d’abord référé à son autorité hiérarchique, c’est-à-dire à son ministre.


Que celle-ci dispense ses faveurs au mariage gay et autres conquêtes de la gauche ! Elle s’enfonce ici dans un domaine d’où il lui sera difficile de sortir indemne.

Nicolas Sarkozy voulait précisément supprimer le juge d’instruction et le remplacer par le juge de l’instruction, c’est-à-dire un organisme judiciaire davantage contradictoire, selon le mode anglo-saxon. En fait, ce qu’il souhaitait, c’est abolir la procédure inquisitoire dans laquelle nous nous trouvons toujours depuis la Révolution française et Bonaparte,  pour la remplacer par une procédure accusatoire, donnant beaucoup plus de garanties au justiciable.

L’actuelle attitude du juge, son caractère arbitraire rend cette réforme encore plus indispensable.

Je dirai enfin que Georges Kiejman, dans cet article, se situe au-delà du Droit. Il se place du côté de la Loi. Le Droit peur être national, ou même impérial, tel le droit romain. La Loi est universelle. C’est elle qui a fait se dresser Zola au moment de l’affaire Dreyfus en même temps que Jaurès, Clémenceau ou Charles Peguy

Nous en sommes là.

Nicolas Sarkozy n’est pas exactement Dreyfus mais l’atteinte portée à la justice,  « ce mauvais coup » dont parle Georges Kiejman est de même nature et porte en lui les germes de l’arbitraire et du despotisme.

C’est pourquoi la tribune de Georges Kiejman représente à la fois l’honneur de la justice, celle de la liberté et celle de la France.

Edouard Valdman, ancien Secrétaire de la Conférence du Stage du Barreau de Paris. Ecrivain, dernier livre paru : « Demain, l’Occident ! »  L’Harmattan