vendredi 22 décembre 2017

Où vas-tu Johnny ?

Je n’ai jamais vraiment aimé le Rock’n roll ni apprécié Elvis Presley. Pendant de nombreuses années la voix de Johnny m’a heurté. Je la trouvais trop forte, souvent assourdissante. Bien plus, je n’ai jamais eu le culte de la moto. En un mot, Johnny, que je trouvais très sympathique, ne m’a jamais vraiment concerné.

A force, cependant de l’entendre, car les médias ne vous laissent pas le choix et imposent leur produit, j’ai fini par l’écouter avec davantage d’attention et je me suis mis à apprécier certains de ses tubes, et même à les fredonner. En tout cas le personnage ne pouvait laisser indifférent. Ses récitals grandioses à Bercy et ailleurs, son énergie considérable, ses multiples accidents de santé et ses résurrections répétées, ses aventures féminines multiples ont fini par constituer un mythe.

Il a vendu des millions de disques. Il rapportait beaucoup d’argent. Il représentait une affaire considérable.

Sa vie entre Los Angeles, Saint Barthélémy, Saint Tropez, Marnes-la-Coquette et autres lieux achevait de le rendre fascinant.

Il était généreux. Il avait adopté deux enfants et comble de faveur pour un artiste béni par les Dieux, il se battait très courageusement contre la maladie. Enfin, il avait eu une enfance malheureuse, jamais reconnu par son père. Cela ajoutait à la légende et pouvait expliquer une audience nationale et un amour des français pour ce personnage, qui par ailleurs, les rejoignait rarement. Il s’était même fiscalement exilé.

Le paradoxe consistait d’ailleurs dans le fait que aimé des français il portait un nom anglo-saxon, propageait une musique de la même origine, vivait la plupart du temps à Los Angeles et enfin était né en Belgique.

En tout cas à coup de défis en tous genres, il était arrivé à les faire rêver. Ils s’accomplissaient en lui. Ils vivaient sans doute par son personnage leurs désirs inassouvis. Autrefois les peuples s’inventaient des rêves à travers les princes et les princesses. Aujourd’hui, ceux-ci ayant disparu, il leur faut trouver de nouveaux objets de fascination. Ils ont besoin d’idoles.


Victor Hugo est le dernier grand personnage à avoir réuni une foule aussi considérable à l’occasion de ses obsèques nationales.

C’est la raison pour laquelle on l’a vite comparé à Johnny Hallyday et le Président de la République s’est empressé de faire de ce dernier un héros.

Et pourtant entre Johnny Hallyday et lui il existe une différence essentielle. Victor Hugo était un géant de la littérature, de la poésie comme du théâtre et du roman.

Par ailleurs, il a passé vingt ans de sa vie sur le rocher de Guernesey, condamné à mort par Napoléon III et ce afin de maintenir vivant le flambeau de la liberté.

Il représente l’honneur de la France à travers une œuvre universelle mais également en raison de son attitude héroïque.

Johnny Hallyday est un grand artiste, certes, mais il n’est pas un héros contrairement à ce que prétend le Président de la République. Lui faire des obsèques nationales telles qu’elles viennent de se dérouler de l’Arc de Triomphe à l’église de la Madeleine, démontre dans quelle confusion de pensée nous nous trouvons aujourd’hui.

Le peuple a besoin de légendes, certes, et cependant il n’aime pas que l’on lui présente des images tronquées. Il risque, lorsqu’il en aura pris suffisamment conscience, de se tourner vers des mythes beaucoup plus dangereux. Les autorités politiques y auront contribué en approfondissant cette confusion.


Je n’ai pu m’empêcher de penser en voyant les motards descendre les Champs-Elysées à des images beaucoup plus violentes dont cette démarche constituerait les prémices.

C’est pourquoi à un moment où tout est confusion, ou le plus noble côtoie le plus dérisoire, il est bon de rappeler aux peuples leurs valeurs immémoriales.

Seules elles peuvent nous sauver des démagogues et éloigner le malheur.


Le Livre, dans notre civilisation, a toujours eu lien avec le sacré, dans le prolongement de la Bible et de l’Evangile. L’écrivain bénéficiait d’un halo de gloire, en tous cas de respectabilité.

La France, bien qu’ayant elle-même creusé la tombe du Livre à travers le culte de la rationalité était demeurée cependant une nation littéraire grâce en particulier aux œuvres des « Philosophes ».

Aujourd’hui le Livre est lui-même désacralisé. Il est un produit comme un autre. Il se vend et se fabrique.

Il n’y aura plus de Victor Hugo. C’est cela que traduit le phénomène Hallyday. De la civilisation du Livre nous sommes passés à celle du disque et surtout de la série. Nous sommes dans la consommation.

Nous avons éludé le tragique et le sacrificiel. Le problème est que lorsque l’on tente d’exclure une dimension essentielle de l’existence, celle-ci ressurgit ailleurs et autrement.

Le terrorisme réinvestit aujourd’hui cet espace.

Faute de savoir l’intégrer, nous nous condamnons à le voir se propager à travers des formes nouvelles que nous feignons d’ignorer.


Le 9 décembre dernier, le Président de la République a prononcé quelques mots, trop longs, sur le parvis de l’église de la Madeleine à propos de Johnny Hallyday. Il les a dits à l’extérieur de l’église par égard, dit-on, pour le principe de la laïcité.

Johnny Hallyday était croyant, il portait habituellement une croix sur la poitrine. C’est apparent respect de la laïcité par le Président de la République est un acte dépourvu de courage.

Qui oserait croire en effet qu’il s’agit là d’un signe authentique de respect pour les institutions ? C’est davantage un acte politique.

C’est cette même absence de courage qui aujourd’hui éloigne définitivement le peuple des hommes politiques et lui fait choisir un chanteur comme représentant des valeurs françaises.


Edouard VALDMAN

Dernier livre paru « Le 21ème siècle sera spirituel ou le Troisième Temple »

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