Il y a quelque temps, me
rendant à Venise en avion, j’y ai fait la connaissance d’un évêque de l’Eglise
copte Amba Athanassios. Nous liâmes plus amplement connaissance dans cette
ville puis nous nous sommes retrouvés à Paris et devînmes des amis.
Récemment Amba est venu
dîner à mon domicile et m’a proposé de l’accompagner en Egypte dans le cadre
d’un voyage organisé en faveur des Chrétiens d’Orient.
Nous étions début
novembre. J’étais particulièrement absorbé par les manifestations artistiques
qui ont lieu à Paris à ce moment de l’année. J’ai senti que c’était une
occasion à ne pas laisser passer. C’est un ami qui conduisait le voyage depuis
le Caire jusqu’à Assouan.
Nous devions aller sur
les traces de la Sainte Famille, visiter les pyramides, le Sphinx, le musée du
Caire, le Temple de Louxor, la vallée des Rois… et d’autres temples grandioses,
ainsi que des monastères, tout ce que je désirais depuis toujours et même
entreprendre une croisière sur le Nil.
La « Sainte Famille »
était le thème du voyage entrepris par Amba, Monseigneur Athanassios, et les
organismes qui défendent les Chrétiens d’Orient, l’Organisation
franco-égyptienne pour les Droits de l’Homme ainsi que l’Union d’Associations
cultuelles coptes orthodoxes de France.
C’est ainsi que nous
allâmes sur ses traces de celle-ci à travers notamment des monastères qui
épousaient son itinéraire.
Ce périple était risqué
car des attaques avaient eu lieu récemment et le jour même où nous arrivâmes à
Mynia un attentat venait de se produire.
Au-delà du problème
proprement politique posé par ces agressions, se perpétue à travers les siècles
l’éternel combat pour la liberté. La Sainte famille avait elle-même fui la
Terre Sainte que le roi Hérode gouvernait à l’époque. Il avait l’intention de
sacrifier tous les nouveaux nés car on lui avait dit que le futur roi d’Israël
se trouvait parmi eux.
L’Egypte était un
refuge comme elle le fut plus tard pour Moïse.
En fait, on ne peut
séparer l’histoire des Juifs, de celle des Chrétiens et de celle des Egyptiens.
L’Islam s’est greffé au
6ème siècle sur une aventure déjà immémoriale et il est étonnant de
constater qu’en dégageant les temples ensevelis sous les sables on découvre des
mosquées construites sur ceux-ci, comme ce le fut le cas d’ailleurs à Jérusalem
avec la mosquée d’Omar, construite sur le temple de David.
Il y a plusieurs
manières de considérer ces événements, soit les déplorer, soit percevoir à
travers eux l’immense désir d’absolu des hommes.
Chaque civilisation
pense avoir découvert la vérité. En fait, elle n’a trouvé que la sienne. La
vérité est plus grande que tout cela. Elle est une quête. Elle perce les
siècles et les sables.
C’est pourquoi il ne
s’agit pas déplorer mais de rassembler et de dépasser.
Chrétiens, Musulmans,
Juifs, laïcs constituent un seul peuple à la recherche de son âme.
L’Egypte est cette
terre dont le sable forme une seule société, celle de la foi.Une autre
dimension de ce voyage fut la présence importante de la sécurité égyptienne
auprès de notre groupe, d’autant plus
que très peu de temps avant, des chrétiens avaient été victimes d’attentats
terroristes. Ces attaques pour l’Egypte étaient une calamité, car depuis
plusieurs années le tourisme lui manquait, et il est la ressource principale du
pays. Sans lui c’est la misère. Ceci nous a été répété par un nombre
considérable d’égyptiens tout au long de notre voyage. Nous avons circulés du
Caire à Assouan entouré par deux voitures de police, l’une en avant de notre
bus et l’autre derrière celui-ci.
L’islam est très
présent en Egypte et les agents de sécurité ne manquaient pas de faire leur
prière sur les tapis d’usage à chaque arrêt de notre bus.
Cette sécurité
vigilante est d’autant plus étonnante que les égyptiens sont un peuple très
accueillant et même affectueux.
Le terrorisme est un
problème politique mais il ne contredit pas la nature même des égyptiens.
Ici au Caire, à Louxor,
je me suis senti vraiment à l’aise. L’islam lui-même, par sa présence obsédante
me rassurait. Il s’agissait d’une foi. Le voile des femmes lui-même ici, a une
signification autre que celle qu’il peut avoir en France.
Enfin, cette puissance
antique toujours présente à travers se temples, ses statues, intègre le
visiteur à une histoire immémoriale qu’il ne rencontre nulle part ailleurs.
Nulle part les colonnes
des temples furent aussi colossales et le désir de survivre aussi puissant.
Nulle part les hommes
ont dit comme ici la beauté plus forte que la mort.
Cependant, notre
compagnon le plus proche tout au long de ce voyage fut le désert. Il longe le
Nil. Dès que l’on s’éloigne tant soi peu de sa rive, on le rencontre. Il est
fascinant et j’ai eu le privilège en fin de séjour, sur le bateau qui nous
emmenait de Louxor à Assouan de dire mon poème « En soi, le
désert ». Ce fut un grand plaisir pour moi, car quelques ombres s’étaient
glissées dans le fonctionnement du groupe et la lecture de mon texte me donna
l’impression d’avoir réconcilié les antagonismes.
Le Nil est le poumon de
l’Egypte. De chaque côté du fleuve c’est le désert. Là où il coule c’est
l’abondance. Tout fleurit. Tout grandit. Sans le Nil, il n’y a pas d’Egypte,
sans ses inondations qui le font déborder de ses rives.
Le plus extraordinaire
n’est-il pas que ce fleuve aie répandu sur les temples son limon, les aie ainsi
protégés et sauvegardés durant des millénaires.
C’est le sable du
désert qui les a recouverts et a permis aux siècles de les sauver.
En fait l’Egypte ne
peut pas plaire véritablement à un esprit moderne, qui a besoin de vitesse,
d’efficacité. L’Egypte ne peut convenir qu’à des esprits empreints d’éternité.
Tout ici est soit immuable, soit délirant et fébrile comme les rues du Caire la
nuit. On passe de la folie contemporaine à l’immobilité des momies.
La plus belle image de
ce pays peut-être, cette caravane qui se forme au pied des pyramides et
s’enfonce dans le désert.
Ici il ne s’agit plus
d’une aventure moderne mais d’un accomplissement à la recherche de soi.
La condition de la femme
a évolué dans certains pays musulmans, en particulier en Egypte. Beaucoup de
femmes travaillent, ont accès à l’université. Peu désormais portent le voile
mais ce qui est étonnant ici c’est la confrontation entre cette modernité et ce
passé. Le voile en Egypte n’a pas la même signification qu’en Occident. Il s’intègre
à une société que l’on peut appeler multi cultuelle. En France, il choque, il
constitue une véritable provocation. Je le ressens moi-même comme une atteinte
à la dignité humaine.
Ici, il se fond dans un
paysage bariolé et surtout en ce que disent certaines femmes il est une défense
contre ce qui pourrait constituer un harcèlement.
En effet, pour la
plupart des Musulmans, la femme est condamnée à vivre à la maison. Elle est
élevée dans le seul souci du plaisir de l’homme. Si elle sort librement, elle
peut faire l’objet d’agressions.
Dans les pays musulmans
le mari peut encore épouser quatre femmes. Il semble, cependant, que les choses
évoluent.
En fait le problème ne
se résoudra que par la grâce de l’économie.
Dans le monde moderne,
peu d’hommes en Islam auront la possibilité d’entretenir quatre femmes. Seuls
les riches le pourront, si bien que le nivellement des conditions qui va avec
la société moderne entrainera inéluctablement une condition féminine autre,
nouvelle. La femme sera contrainte de travailler et son statut évoluera.
Le drame politique de
l’Egypte réside en ceci : que si le gouvernement actuel, comme celui de
Moubarak précédemment échoue, le seul recours sera les frères musulmans. Il n’y
a pas d’alternative démocratique. C’est ce qui s’est passé après la chute de
Moubarak. Les islamistes se sont engouffrés dans la brèche et l’armée a été
contrainte d’intervenir. L’accession des frères musulmans au pouvoir avait
entrainé la fermeture des portes de l’Egypte, en particulier aux étrangers, et
réduit considérablement le tourisme. Or celui-ci est un des poumons de l’Egypte.
Ce pays ne pourra être vraiment libre que lorsque le terrorisme étant vaincu,
elle pourra construire une véritable démocratie à l’intérieur de laquelle
toutes les idées et toutes les sensibilités pourront se manifester.
Pour cela il faut créer
une authentique prospérité et celle-ci ne pourra se produire qu’à travers la
coexistence de tous les habitants de l’Egypte, Chrétiens, Musulmans, Juifs.
Les Coptes eux-mêmes se
disent les descendants des pharaons. Ils doivent y avoir une place privilégiée.
L’Egypte est leur patrie.
C’est pourquoi ce
voyage sur les traces de la Sainte famille était important. Il était un signe,
un symbole. C’est à ce titre qu’il a été soutenu par la direction de la Région
Ile de France. Elle y voyait une amorce à la reprise des échanges entre la
France et l’Egypte, après les derniers attentats.
Le groupe lui-même
était conduit par Amba Athanassios et Jean Maher, président de l’association de
la défense des Chrétiens d’Orient. Le guide qui nommait les différents temples
et monuments était un égyptien d’origine libanaise, Nabil. Quant au groupe, il
était composé essentiellement d’amis d’Amba Athanassios qui possède un
rayonnement certain.
Jean Maher se conduisit
comme un responsable sérieux dans une situation délicate puisque nous étions
incontestablement menacés par des attentats terroristes, si bien que ce voyage
fut une incontestable réussite.
En effet, d’une part
nous allâmes sur les traces de la « Sainte famille » à travers les
grottes et monastères qui marquent son itinéraire, sans oublier les rencontres
avec les représentants de la communauté Coptes, évêques et moines et d’autre
part, nous avons eu un aperçu très ciblé de l’Egypte, pyramides, Sphinx et
temples qui nous ont donné le désir de revenir bientôt pour approfondir notre
connaissance de ces hauts lieux.
Notre troupe était
relativement hétéroclite mais nous communions à travers, d’une part une
relation privilégiée au christianisme et d’autre part, le plaisir de connaitre
l’Egypte.
C’est la beauté qui
nous a réunis durant douze jours et comme le dit Dostoïevski « La beauté
sauvera le monde ».
J’ai assisté comme je
le souhaitais au coucher de soleil sur le Nil depuis la terrasse de l’hôtel
Winter Palace à Louxor. Ce spectacle est effectivement grandiose. Le soleil à mesure
qu’il s’enfonce dans le fleuve devient de plus en plus ocre et c’est un
authentique charbon ardent qui pénètre dans le Nil.
Mais ce qui est le plus
fascinant, ou qui me parut tel, c’est que cette chute dans le fleuve, ce
glissement est à l’image de notre propre vie et je compris alors pourquoi les
égyptiens avaient fait du soleil leur Dieu.
Comme lui, chaque jour,
nous naissons puis nous nous enfonçons dans le fleuve. La chute du soleil qui
succombe dans les eaux est notre chute même. Chaque jour nous mourrons et la
vue du soleil accomplissant ce rite nous aide à accepter notre sort.
Nous sommes comme ce
soleil. Son destin est le nôtre. Le fleuve est devenu rouge et notre mort nous
apparait la sienne, voluptueuse et inéluctable.
Devant ce spectacle, dont
les égyptiens avaient fait une divinité il y a 5000 ans, on ne peut que se
distancier et considérer tout événement humain comme passager et dérisoire.
Le Dieu Ra impose sa
loi, celle de la lucidité et de la sagesse.
J’ai cru également
apercevoir dans ce soleil couchant à côté de l’image de ma vie et de celle de
ma mort celle d’une toile du peintre Rothko. En fait, tout en l’appréciant, je
n’avais jamais très bien compris ce que les toiles de ce peintre pouvaient bien
signifier. Je l’avais seulement soupçonné. A présent, c’était très clair. Les
bandes incrustées dans ses toiles les unes dans les autres n’étaient autres que
ces couleurs que le soleil dispensait, en se jettent dans le fleuve à mesure
qu’il s’y fondait.
Il n’y avait pas de
séparation entre la vie et la mort, seulement des nuances. Tout se fondait,
tout se confondait, tout s’évaporait. La vie se mêlait à la mort. C’était
seulement une question de ton.
Le pharaon lui-même
intégré au Cosmos, représente le soleil et après sa mort il doit rejoindre le
Dieu. Tout tourne autour de cet événement, dans cette civilisation qui a
engendré la nôtre. Il s’agit d’un rite cosmique. Le soleil donne la vie. Le
pharaon est celui qui est le plus près du soleil. Son passage sur terre n’est
qu’un moment de sa course vers le soleil. L’or est comme le soleil, le symbole
de la puissance.
Dans l’avion qui
m’emmenait au Caire, une surprise : sur la carte qui était développée
devant moi et qui figurait le voyage jusqu’en Egypte, pas d’Etat d’Israël. Le Moyen
Orient ignore donc une géographie qui est celle du 21° siècle et qui a été
établie en accord avec les Nations Unies en 1948.
Au-delà de la
susceptibilité que peuvent éprouver les juifs face à ce constat, il est évident
que l’Egypte ne pourra résoudre ses problèmes politiques que si elle affronte
ce qu’on appelle la Modernité.
L’Etat d’Israël est une
réalité avec laquelle les pays arabes doivent aujourd’hui compter. Ils doivent
l’intégrer. Il fait partie de leur histoire.
Les musulmans sont des
fils d’Abraham et à ce titre ils doivent prendre place à côté des juifs et des
chrétiens dans un Moyen Orient réconcilié.
Cette manière de gommer
l’existence d’un Etat reconnu par la communauté internationale est une marque
d’impuissance. Il ne s’agit pas de nier. Il faut accueillir et intégrer.
Edouard
Valdman