vendredi 27 mars 2015

Pour une laïcité plurielle

Et si la France se rapprochait du modèle anglais ?

Légende photo : Sikh membre de la police métropolitaine de Londres.
Son turban « bulletproof » (à l’épreuve des balles) exprime son identité
culturelle et religieuse.
Source : The Gardian 7 mai 2009 – Photo : Peter Jordan/PA
 
La laïcité à la française doit être remise en question. Dans le passé, elle n’a pu empêcher ni l’affaire Dreyfus ni Vichy. De nos jours, elle est impuissante à intégrer les minorités religieuses. Elle ne constitue pas un rempart suffisant à la montée de l’intégrisme et de l’antisémitisme. Elle doit laisser place à une laïcité « plurielle » à l’anglaise, qui préserve un espace d’expression pour les différentes religions.

 
L’exemple de la tolérance anglaise
 
Au Royaume-Uni règne le principe de tolérance multiculturelle. Il n’y a donc aucune restriction au port de signes religieux à l’école ou dans l’espace public. L’idée était de faciliter ainsi l’intégration des membres des anciennes colonies de l’empire. Aujourd’hui encore, les Sikhs sont coiffés d’un turban et arborent parfois le poignard pour accompagner leurs enfants à l’école ou faire leurs courses au supermarché. Il existe un enseignement du christianisme et des principales religions pratiquées dans le royaume. Enfin, le voile est autorisé dans les lieux publics, y compris le voile intégral, même pour des filles mineures ! Faut-il aller jusque là ? Non, car le voile intégral est une aliénation, une atteinte à la dignité humaine. Mais faut-il pour autant faire la sourde oreille à ceux qui expriment leur volonté d’afficher publiquement leurs croyances ? Cette démarche n’est-elle pas finalement en relation avec la liberté d’expression ? On pourrait d’ailleurs considérer le port du voile islamique (non intégral), de la kippa juive, de la croix chrétienne, du turban sikh comme l’expression d’identités précieuses à l’heure de l‘uniformisation mondiale. Par ailleurs, et c’est le point le plus important, l’exercice caché de la religion risque de renforcer le sentiment de persécution dont se nourrissent les extrémismes. Au contraire, l’expression pacifiée et publique des identités religieuses peut être un rempart contre la montée des tensions interreligieuses. Enfin, reconnaître une part de spiritualité en chacun de nous, pourrait être le meilleur vaccin contre l’émergence de mystiques improbables. L’enseignement à l’école de l’histoire des religions nous semble ainsi souhaitable.
 
 
L’échec de la laïcité française
 
La laïcité en vigueur en France éradique la part sacrée en l’Homme. Lorsque l’on porte atteinte au nom de principes abstraits, à la question de Dieu, le totalitarisme a la tentation de s’engouffrer dans cet espace vacant. C’est ce qui est advenu. Comme l’évoque Hannah Arendt, « la notion d’Homme », au sens révolutionnaire du terme, est une pure abstraction. On sait ce qu’est un bourgeois ou un prolétaire. Un « Homme », on ne l’a jamais vu. C’est la raison pour laquelle ces « Droits de l’Homme » ont été balayés si aisément par Vichy. La laïcité ne débouche pas nécessairement sur le principe de tolérance si souvent évoqué. Voltaire, ennemi acharné de l’obscurantisme religieux, était violemment antisémite. Par ailleurs, le déficit symbolique induit par la Révolution française, la mort du Roi, symbole de Dieu, du Père et de tout principe d’autorité, ont débouché sur la Terreur et la dictature bonapartiste. La toute-puissance de la Raison, issue de la philosophie des Lumières, a trouvé un de ses prolongements dans les dictatures marxistes. Les Droits de l’Homme de 1791 ont certainement constitué un progrès. Mais ils ont débouché sur un vide spirituel et un principe étroit de la laïcité qui ont montré leur impuissance face aux extrémismes.
 
 
Vers une laïcité « plurielle »
 
Aujourd’hui, dans le cadre de la construction de l’Europe et dans sa relation avec le Royaume-Uni ou les Etats-Unis d’Amérique, pays religieux, la France apparaît vulnérable en raison de son déficit symbolique, conséquence de la laïcité réductrice. Cette laïcité a montré ses limites. Elle devrait évoluer vers une laïcité « plurielle » qui intégrerait les différentes minorités religieuses. Cela signifie bien sûr une plus grande permissivité sur les signes religieux dans l’espace public, une plus grande tolérance à l’égard de coutumes, pratiques, spécificités liées à la religion et, bien sûr, l’enseignement de l’histoire des différentes religions à l’Ecole, assurée par des enseignants publics ou non. Si ce principe renvoie à une référence, c’est à la Loi au sens sinaïtique du terme (Les dix commandements) et au monde anglo-saxon fondé sur la présence de Dieu.
 
La laïcité « plurielle », proche du modèle anglais sans ses excès, n’aurait pas pour seul effet d’apaiser les tensions interreligieuses. Elle cicatriserait la plaie, celle du Parricide de 1793, non pour amener la France à un retour au catholicisme mais à une reprise en compte beaucoup plus vaste de la question du Père. Ce processus est d’ordre psychanalytique.
 
Elle permettrait de faire rejaillir les différentes spiritualités qui reposent au plus profond de l'âme de la France.
 
 
Edouard VALDMAN
Dernier livre paru :
 "Pourquoi ? Les Lumières à l'origine de l'Holocauste", éditions L'Harmattan, 2015
 
 
 
 
 
 



2 commentaires:

  1. Bonsoir,

    Merci pour votre texte c'est intéressant et le ton n'est pas omniscient, ce qui me fait du bien (j'ai l'impression qu'actuellement tout le monde croit détenir la vérité et veut l'imposer aux autres au lieu d'écouter les arguments adverses et se permettre de douter) .
    L'affaire Dreyfus a eu lieu avant la loi de 1905 donc me semble un peu hors de propos. Je suis moi-même athée / déïste / théïste selon les saisons mais je pense qu'effectivement le très bon côté des religions est de palier un certain vide spirituel inhérent à notre époque (même si je pense qu'on peut trouver de la spiritualité ailleurs comme dans la philosophie par exemple). Pour moi la "pratique de la religion" ne devient mauvaise que quand elle tend vers le dogmatisme qui peut devenir du fanatisme. Je suis cependant assez d'accord avec madame Badinter quand elle dit "Nous appartenons tous au même genre humain. Donnons la priorité à ce qui nous unit plutôt qu’à ce qui nous distingue."
    Le sport en est selon moi le meilleur exemple. Dans une équipe tout le monde porte le même maillot et on avance ensemble. Cela ne constitue pas selon moi une négation de la diversité mais plutôt une abnégation temporaire. Après le match on enlève le maillot et on s'habille à nouveau comme on le souhaite (tant que ça reste en accord avec les idéaux de la république). Je serais donc tenté d'être pour une laïcité "pure et dure" au sein de l'Ecole publique et pour une diversité plurielle dans les espaces publics.
    Qu'en pensez-vous ?


    Cordialement,

    Frédéric

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    1. Cher Monsieur,
      J'avais écrit, il y a quelque temps, dans un texte poétique "ce qui nous sépare c'est ce qui nous unit".
      Je me souviens que la comédienne qui a lu ce texte en public et qui est quelqu'un que j'estime beaucoup n'a jamais compris ce que je voulais dire par là.
      Ce que je voulais signifier c'était que précisément nous étions séparés les uns des autres par une irréductible différence qui reposait sur un vide métaphysique, qui est en fait l'espace de la question de Dieu.
      C'est ici que je me sens spirituellement très juif car cette séparation est l'essence même du judaïsme. Nous sommes séparés de nous-même, de l'autre et du grand autre.
      C'est cette blessure qui fait l'homme.
      C'est donc en cultivant notre propre différence que nous pouvons rejoindre les autres et non en tentant de les contacter dans une pseudo-égalité qui n'existe pas.
      Madame Badinter appartient à ce qu'on appelle les juifs laïcs de gauche. Je me permets d'apporter cette précision dans la mesure où son mari a publié des tribunes en particulier dans le journal Le Monde dans lesquelles il signait "juif".
      Elle est milliardaire et prône l'égalité. Tout ceci me semble d'une grande confusion et c'est cette confusion qui malheureusement nous amène aux pires désastres.
      Je pense qu'aujourd'hui le seul salut est que chacun assume sa spiritualité librement, et ce serait à mon sens un bénéfice pour tout le monde, ceci bien sûr dans les limites imposées par le respect de l'autre.
      Il faut restructurer du religieux.
      J'ai écrit à ce sujet deux livres, l'un en 1999 "Le retour du Saint", l'autre en 2004 "Dieu n'est pas mort, le malentendu des Lumières"
      J'espère que ces quelques explications pourront vous satisfaire.
      Cordialement
      Edouard Valdman

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