A propos d’un livre de Robert Badinter « L’Abolition »
Une querelle se fait
jour régulièrement entre les social démocraties européennes qui ont aboli la
peine de mort et les Etats Unis qui ont conservé cette pratique. Ces derniers
sont qualifiés de barbares par les abolitionnistes européens dont la référence
primordiale est 1981 et l’abolition de la peine de mort par le gouvernement
socialiste.
Le problème n’est pas
suffisamment explicité.
Comme le disaient très
justement Albert Camus et Arthur Koestler
(Réflexions sur la peine capitale), une société laïque qui ne se réfère
plus à aucune transcendance ne peut en aucun cas continuer à prononcer la peine
capitale. S’il n’y a plus de Sacré, sur quelles bases le tribunal
prononcerait-il une telle peine qui a référence à un absolu de la dignité
humaine ?
Il n’en va de même
dans les pays anglo-saxons. Ici, Dieu ni le Roi ne sont morts sous les coups de
la Révolution. La Loi, Dieu et le Père, dimensions incontournables de la
conscience humaine, ont été intégrées. Tant il est vrai que la transcendance
est irréductible. Elles n’ont été ni détruites ni niées. Celle ci est toujours
la référence de l’état anglo-saxon, et la Reine d’Angleterre, comme le
Président des Etats Unis prêtent serment sur la Bible. C’est la raison pour
laquelle cette société prétend s’autoriser à prononcer des condamnations à la
peine de mort, car pour elle, la vie est toujours sacrée.
Il est d’ailleurs
étonnant de constater que ce sont dans des sociétés comme la France, régies par
les Droits de l’Homme (fondés sur la mort de Dieu), que les condamnations à la
peine de mort jusqu’en 1981 étaient sans appel, comme l’étaient il y a quelques
mois encore, celles à la réclusion criminelle à perpétuité (en fait la toute
puissance du pouvoir royal s’était transformée en toute puissance du jury
populaire. On était toujours dans l’absolutisme). La législation vient de
changer sur ce point : réforme essentielle, réalisée sous l’influence du
droit anglo-saxon. L’appel des arrêts de la Cour d’Assises vient d’être
instauré.
Il faut également
faire remarquer que ce sont dans les sociétés régies par les Droits de l’Homme
telles que la France, que les conditions de
détention sont les plus sordides, et qu’elles sont régulièrement
dénoncées, tel le dernier témoignage accablant du médecin chef de la Santé.
En fait, le système
judiciaire américain et le système judiciaire français sont radicalement
différents. L’un est accusatoire et l’autre est inquisitoire. C’est pourquoi
évoquer le problème de la peine de mort dans l’un et l’autre système, sans
nommer la différence de leur fondement, ne peut que créer une grave confusion.
La Réforme protestante
est sans doute la grande révolution intellectuelle et spirituelle de l’Europe,
au 17eme siècle. C’est elle qui institue la présomption d’innocence,
et l’Habeas Corpus en Angleterre, est le véritable acte fondateur de la
démocratie.
La Réforme casse en
effet la médiation de l’Eglise catholique dans la relation que l’homme européen
entretient avec Dieu. Désormais, il peut s’entretenir avec Lui seul à seul.
C’est une immense avancée dans l’aventure de la liberté. En fait, la Réforme instaure
une nouvelle relation de l’homme européen avec le Père et avec la Loi.
C’est ici que naît la
libre entreprise, le libre échange. C’est dans cette liberté que se situe
l’origine de la puissance actuelle des pays anglo-saxons.
Sur le plan judiciaire
plus précisément, c’est le système accusatoire qui s’instaure. L’homme est
présumé innocent. Il n’y a pas de Ministère Public, et dans le procès, au
Tribunal, la partie civile se situe au
même niveau que la défense.
Changement radical qui
trouve son origine dans la CENE, tel que désormais l’aborde l’Eglise Réformée.
Celle ci ne se célèbre plus sur un autel, mais sur une table de bois autour de
laquelle tous les hommes viennent démocratiquement se réunir.
. La
France ayant été incapable d’intégrer la Réforme, Louis XIV y ayant discerné
une menace contre son absolutisme, c’est la Révolution qui est venue prétendre
non pas créer une nouvelle relation avec la Loi et avec le Père, mais abolir
ceux ci. C’est ce système pervers qui a engendré les extrémismes par la grâce
du refoulé, une égalité réductrice au lieu d’une différence féconde, et un
authentique impérialisme des Droits de l’Homme.
La laïcité n’est
jamais qu’une inversion du catholicisme culpabilisant. La pensée de Jean
Jacques Rousseau est avant tout normative.
Ce qui le démontre,
c’est le système judiciaire, qui comme sous l’ancien régime est demeuré
inquisitoire. Jusqu'à ce jour ou le principe de la présomption d’innocence
vient d’être voté en France, trois siècles après la Réforme en Angleterre et en
Allemagne, sous l’influence de la Commission européenne, l’homme était toujours
présumé coupable.
Aujourd’hui en France,
l’organisation judiciaire qui date de Bonaparte, avec un Etat tout puissant,
autoritaire, dans la droite ligne de la monarchie française entre en conflit
avec ces nouveaux principes qui s’inscrivent dans une tradition radicalement autre.
Telles sont les
contradictions auxquelles est confronté le système français. Telle est l’origine
des mouvements qui se font jour aujourd’hui, dans le monde judiciaire. Un juge
d’instruction tout puissant, créé par Bonaparte, à l’instar des préfets, voit ses
pouvoirs diminuer, sous l’influence d’une législation étrangère, alors que la
réforme de l’Etat n’est toujours pas accomplie.
Malgré ce que pensent
les défenseurs de l’abolition de la peine de mort, le progrès ne va forcément
pas dans leur sens. La société américaine est si puissante aujourd’hui, parce
que ainsi que les autres pays anglo-saxons, elle est toujours fondée sur une
transcendance et a intégré une relation plus libérée avec le Père.
On peut se demander
d’ailleurs dans quelle mesure les événements de Mai 68 dont on discerne
aujourd’hui avec moins de passion la signification profonde , n’ont pas
constitué au sein de la nation française la Réforme qu’elle a été incapable
d’intégrer il y a trois siècles. Incontestablement, ceux-ci ont revendiqué et
sans doute créé une relation nouvelle avec le Père.
La transcendance
deviendra de plus en plus nécessaire pour refonder des sociétés en continuelle
perte de valeurs. Les sociétés anglo-saxonnes ont conservé pour nous des
valeurs fondamentales, que la révolution intellectuelle et spirituelle qu’elles
ont effectuées au 17eme siècle leur ont seules permis de fonder.
Les barbares ne sont
pas ceux que l’on pense . C’est sous le régime des droits de l’homme
qu’ont eu lieu la Terreur, les hécatombes napoléoniennes, et c’est dans des
sociétés désacralisées que sont advenues les grands cataclysmes de notre temps.
C’est au nom de l’impérialisme des droits de l’homme, que s’est réalisé le
colonialisme.
Le véritable clivage
se situe entre ceux qui pensent qu’une société doit se fonder sur des idéaux
laïques et ceux qui pensent que seule une transcendance peut la justifier.
L’expérience et le pratique, ainsi que les progrès de l’histoire ne semblent
pas donner raison aux premiers.
Il y a une
responsabilité de l’homme devant le crime. Le problème du mal ne peut pas être
seulement appréhendé par les analyses sociales, politiques ou psychanalytiques.
Le mal existe. Il doit être sanctionné. La peine de mort est une réponse à la
liberté absolue de l’homme devant son crime.
Priver l’homme
de cette condamnation, c’est lui dénier le caractère absolu de sa liberté.
La pensée de
Robert Badinter comporte deux faiblesses : La première c’est de ne
considérer avant tout l’intérêt du criminel. Il s’intéresse assez peu aux intérêts de la victime.
Surtout, Robert
Badinter, comme beaucoup de juifs dits laïcs (il a lui même à de nombreuses
reprises signé des articles dans la presse en temps que juif), se croit obligé
d’être fidèle aux idéaux de la Révolution Française qui ont ouvert aux juifs
les portes de la citoyenneté « LIBRES ET EGAUX ». Or il semble ne pas
discerner que ces mêmes idéaux conduisent à une égalité réductrice qui en fin
de compte est porteuse de la négation de la différence.
C’est cette
réalité, au sein de la société des Droits de l’Homme à laquelle a été confronté Herzl au moment de
l’affaire Dreyfus, et qui lui a révélé la nécessité de créer un état juif.
C’est autour de
cet état qu’au delà des notions
réductrices de l’Egalité se restructure une authentique Différence et une
relation nouvelle avec le Saint.
En Israël, la
peine de mort est exceptionnelle. Comme aux Etats Unis, son principe est
maintenu.
Les Lumières,
la Révolution, et l’Idéologie des Droits de l’Homme, ne sont plus suffisantes,
pour soutenir des prétentions que l’Histoire vient chaque jour bafouer et que
l’avenir proche viendra sans aucun doute contredire.
C’est en tout
état de cause, une nouvelle relation avec la Loi, avec Dieu et avec le Père,
que la France devra instaurer, une nouvelle relation avec la Différence, face
aux inéluctables avancées de l’Europe, et à l’influence décisive du Droit
anglo-saxon.
Edouard VALDMAN
Ecrivain
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