samedi 15 novembre 2025

POUR BOUALEM SANSAL, D’UNE GRACE A L’AUTRE

 J’ai rencontré Boualem Sansal, écrivain franco-algérien au Salon du Livre de Paris, l’été 2024. Nous avons immédiatement sympathisé, échangé nos coordonnées, et prévu de nous revoir après son retour d’Algérie, à l’automne. Il devait y partir incessamment.

Son visage, où se lisait une douceur extrême, m’a immédiatement attiré vers lui.

Je l’ai perdu de vue. Je ne lui ai pas écrit comme il était prévu. C’est son arrestation qui m’a ramené vers lui.

Boualem Sansal a été arrêté le 16 novembre 2024 à son arrivée à Alger, entendu par le Parquet anti-terroriste, placé sous mandat de dépôt pour atteinte à la sureté de l’Etat, après avoir tenu des propos concernant les frontières entre l’Algérie et le Maroc.

Il a comparu le 20 mars 2025 devant le Tribunal correctionnel de El Dar Beida à Alger. Le procès a duré moins d’une demie heure, et le procureur a requis une peine de 10 ans de prison ainsi qu’une amende de 1 million de dinars. L’écrivain était accusé d’atteinte à l’unité nationale, d’outrage à Corps Constitués, et d’atteinte à l’économie nationale. Il s’agissait d’un conflit d’ordre géopolitique, l’appartenance d’une partie du Sahara algérien au Maroc.

Son avocat français a vu son visa refusé. Il était soupçonné d’être juif. Il lui fut conseillé de le récuser.

Boualem Sansal décida de se défendre seul.

Le même avocat dénonça un procès fantôme, tenu dans le plus grand secret, sans défense, le caractère arbitraire de cette procédure. Il saisit les organisations compétentes du Haut-Commissariat aux Nations Unies et déposa plainte contre l’Algérie.

Boualem Sansal a 83 ans et est atteint d’un cancer.

 

L’Algérie, je la connais à travers deux hommes, un Saint et un artiste. Le premier, c’est le Père de Foucault, officier de cavalerie, explorateur au Maroc, grand mystique mort à Tamanrasset en Algérie dans le Hoggar, un saint qui aimait très profondément l’Algérie, et lui a fait le sacrifice de sa vie.

Le second, c’est Albert Camus. Je l’ai lu très jeune, à vingt ans, il a marqué ma vie au fer rouge.

C’est une amie de l’université, Ania, qui m’en a parlé pour la première fois. « Noces », « L’étranger », « Caligula », « La peste », tous ses livres m’ont conquis.

Ania n’était pas sans doute pour rien dans cet amour.

Camus, je me suis mis à l’aimer d’une même passion.

Au-delà de son engagement pour l’art, pour la beauté, il y avait la Justice. Camus se battait pour elle.

Il travaillait dans le journalisme à un moment où l’Algérie était encore une colonie. Il dénonçait « la misère de la Kabylie » et préconisait des réformes. Dès alors il proposait des changements qui allaient dans le sens d’une plus grande autonomie.

C’était le temps des massacres de Sétif. Les populations algériennes, ayant servi dans les rangs de l’armée française durant la dernière guerre, revendiquaient à ce titre un nouveau statut et une plus grande dignité.

A Sétif, en 1954, en ce qui concerne ces exigences, on leur répondit par un massacre. On ne sait toujours pas combien il y eut de victimes, 8 000, 10 000, sans doute davantage.

En tout cas, c’est à ce moment-là que fut créé le FLN et que débutèrent les premiers attentats.

Camus était un Juste. Immédiatement, il préconisa des réformes et un statut spécifique pour l’Algérie qui reconnaitrait à ses habitants à la fois une plus grande dignité et des droits politiques nouveaux.

Malgré quelques exceptions, il se heurta toujours à l’intransigeance des colons.

 

« Un bon colon est un colon mort ! ». Cette phrase de Sartre situe le débat tel qu’il fut posé dès lors. Les extrémistes de tous bords, colons, indépendantistes, entrèrent dans l’engrenage de la violence. C’est aussi  à ce moment que l’intelligencia française, à part quelques exceptions comme Camus ou Raymond Aron, s’est déshonorée.

Sartre en est l’exemple le plus vil.

 

Au milieu de ce remue-ménage Camus, tout en continuant à dénoncer, garda son calme. Il avait de tout temps refusé la violence.

C’est de ce moment, sans doute, que date la phrase fameuse qui répond à celle de Sartre « Entre ma mère et la justice, je choisis ma mère ».

Il répondait par la même à l’autre phrase de Simone de Beauvoir « Camus refuse de faire le pas dans l’Histoire », à propos de « L’homme révolté », sans doute le plus grand livre d’Albert Camus. Il démystifiait précisément ce qu’on appelle l’Histoire, c’est-à-dire les crimes staliniens, ceux de la bien-pensance.

C’est à ce moment-là que l’on peut dire que Camus les eut tous sur le dos. Il était l’homme à abattre puisqu’il choisissait la paix contre le terrorisme.

Il avait vu dès alors dans quelle direction les nouveaux maîtres entrainaient l’Algérie, vers une autocratie dans la ligne directe du marxisme.

Quand de Gaulle arriva au pouvoir en 1958, c’était fini. La guerre avait été gagnée par la France mais le FLN était incontournable, c’est-à-dire la dictature.

Les accords d’Evian consacrèrent la fin de l’Algérie française et le départ de millions de français d’Algérie sans oublier l’horrible massacre des Harkis que la France a très lâchement abandonnés.

 

C’est aussi à ce moment que sur la route de Lourmarin, village de Provence, désormais lieu de pèlerinage, Camus trouva la mort aux côtés de Michel Gallimard.

Lourmarin je l’ai connu plus tard et j’ai découvert un lieu magique, cher au cœur d’Albert Camus qui dort là sous les romarins.

 

Et certes l’Algérie a été colonisée. Beaucoup d’injustices ont été commises de la part des colons, mais l’œuvre des français en Algérie a été grandiose et c’est d’abord le judéo-christianisme que la France lui a apporté, une religion de l’amour et une certaine conception de la liberté, face à l’islam totalitaire, ainsi que les Droits de l’homme.

Quelle est cette liberté pour laquelle le FLN prétend s’être battu ? Chaque révolte en Algérie depuis le départ des colons a été noyée dans le sang, toute tentative de progrès social.

Quand on voit ce que les algériens ont fait de leur pays, c’est d’abord un sentiment de honte qui vous saisit, de trahison face aux idéaux pour lesquels un homme comme Camus s’est battu.

En ce qui concerne ceux qui aujourd’hui prétendent que nous avons commis des crimes contre l’humanité, il conviendrait de leur rappeler que lorsque l’Emir Abdelkader est parti en exil après sa défaite, il emmenait une « smala » composée avant tout d’esclaves.

Telle était la conception de la nouvelle Algérie.

Il ne semble pas qu’elle ait évolué.

 

Il n’est pas impossible qu’étant donné les nombreux contentieux qui se déploient entre l’Algérie et la France, en particulier le refus de cette dernière de reprendre les condamnés algériens sur le sol français, le pouvoir algérien souhaite réduire les tensions et qu’une condamnation plus légère soit requise contre Boualem Sansal et peut-être même une grâce.

Une grâce pour une infraction qui n’existe pas, ce serait dans une certaine mesure quelque chose de plus scandaleux qu’un gouvernement français, digne de ce nom, ne devrait pouvoir tolérer.

Il est à craindre que ce dernier ne sombre dans l’abjection, comme il l’a fait, quand il a dénoncé la colonisation française comme un crime contre l’humanité.

Le 28 mars 2025, Boualem Sansal a été condamné à cinq années de prison.

Le 7 juillet 2025, sa condamnation a été confirmée en appel par les autorités algériennes.

 

S’ensuivit une longue attente, des prises de positions intempestives, d’un bord à l’autre de la Méditerranée, et une désespérance, d’autant plus que la santé de Boualem Sansal était en cause et que le pire était à craindre. Puis soudain, la « grâce » est annoncée à partir d’une intervention des autorités allemandes. Apparemment la France avait perdu la main. Ce sont les allemands qui emportent la mise, celle de la magnanimité. Boualem Sansal sera libéré pour « raisons humanitaires ».

 

Le véritable problème dans cette affaire est celui de la « grâce » présidentielle, venant de l’Algérie.

 

En effet pour qu’il y ait « grâce », il conviendrait qu’il y ait faute. Boualem Sansal a toujours nié avoir commis quelque faute que ce soit, vis-à-vis du gouvernement de l’Algérie. Il n’a fait qu’émettre une opinion. Cette attitude constitue-t-elle une infraction de nature à engendrer une privation de liberté de une année ?

 

En Algérie, une opinion personnelle qui ne soit pas en accord avec la position du gouvernement, conduit directement en prison. Il s’agit d’un système dictatorial.

 

C’est Boualem Sansal et la France, au contraire, qui devraient exiger du gouvernement algérien une indemnité substantielle, pour le délit de séquestration pendant un an, au mépris de tous les droits dits de l’Homme.

En fait, ce qui se joue ici, c’est la confrontation entre deux civilisations, deux peuples, l’un très influencé par l’islam auquel s’ajoutent les relents marxistes de la dernière Révolution.

 

Tout le monde se réjouit de la libération de Boualem Sansal. Qu’en est-il cependant « de la libéralité » du Président algérien ? Ce qui se passe n’est guère réjouissant. Du côté algérien, il y a eu atteinte grave à la liberté d’expression et le gouvernement de ce pays devrait être lourdement condamné par la Cour de La Haye, pour avoir enfreint les lois internationales.

A ce jour, on ne connait pas la position exacte de Boualem Sansal par rapport à sa mise en liberté « pour raisons humanitaires ».

Il lui eut été difficile en tout état de cause de demeurer en prison dans l’état de fragilité dans lequel il se trouve.

Cependant, il sera le seul à pouvoir parler de la « grâce » dont il fait l’objet, de dire s’il l’accepte, s’il la refuse, et s’il entend poursuivre ses agresseurs.

La liberté ne s’accorde pas comme un gadget que l’on manipule à sa guise. Il s’agit de la respiration même des hommes.

On demandait à Albert Camus : « Peut-on interrompre quelque temps la liberté pour entreprendre des réforme ? » et celui-ci répondait : « On n’arrête pas le cœur de l’homme. »

Contrairement à ce que peuvent penser certains, l’affaire Boualem Sansal ne fait que commencer.

Quand il s’agit de la Liberté, il ne peut être question que de vie ou de mort.


Aujourd’hui, Boualem Sansal est en liberté, en France, où il est revenu récemment après son détour par l’Allemagne.

Tout à l’air d’aller pour le mieux. Après une année de séquestration en Algérie, un jugement sommaire, le condamnant à cinq années d’emprisonnement pour atteinte à la sureté de l’état, le voilà blanchi.

Lui-même semble serein. Son cancer de la prostate à quatre-vingt-trois ans ne semble pas l’avoir trop éprouvé.

Le Comité qui l’a soutenu pendant son incarcération, semble lui-même satisfait.

Un an de séquestration de manière tout à fait arbitraire pour raison fallacieuse, après avoir émis une opinion sur la relation entre le Maroc et l’Algérie semble aujourd’hui ne pas trop affecter ni la victime de cette séquestration, ni son comité de soutien.

On peut, certes, imaginer que Boualem Sansal aie besoin avant tout de repos après une telle épreuve, qu’il ait envie de jeter l’éponge.

 

On peut même imaginer que ceux qui l’ont soutenu soient las et qu’après tout l’important c’est qu’il soit libre. Le reste, on n’a plus à y penser.

Et pourtant, cette épreuve laisse un sentiment de frustration, d’humiliation et de honte.

Car Boualem Sansal est non seulement un écrivain de talent, très connu en Allemagne, plusieurs fois prisé, mais il est également français et algérien. Il a fait l’objet d’un rapt à sa descente d’avion à Alger sous un prétexte fallacieux.

Sa libération, par ailleurs, a été aussi brutale que son incarcération. Il serait libéré « par souci humanitaire ».

La vérité, c’est qu’il s’agit d’une véritable violation des droits de l’Homme et que l’Algérie, à travers cette affaire, a dévoilé son vrai visage, sa nature dictatoriale et qu’elle doit des comptes à la France. Elle lui doit des dommages et intérêts substantiels pour violation flagrante des droits de l’Homme à travers Boualem Sansal.

Bien plus, le Président français semble satisfait de l’élargissement de Boualem Sansal. Il va même, injure suprême, jusqu’à remercier le Président algérien.

Là il y a véritablement honte, humiliation et scandale.

L’Algérie s’est mise au ban de l’humanité et des droits de l’Homme. La Cour européenne de justice devra être saisie.

Mais peut-être, davantage, il y a faute de la France de ne pas avoir défendu les intérêts intellectuels et spirituels de Boualem Sansal, et d’avoir laissé à l’Allemagne le soin de le faire.

On a par ailleurs attenté à la santé d’un homme de quatre-vingt-trois ans, atteint d’un cancer de la prostate, demeuré durant un an, coupé de sa famille.

Le Président français, lui-même, n’a jamais répondu aux messages de la famille de Boualem Sansal, à ses enfants et à son épouse.

On peut imaginer que Boualem Sansal abandonne sa propre cause par lassitude ou pour des raisons qui le concernent seul, qui touchent à l’intégrité de sa conscience mais rien ne pourra effacer la tâche qui lui a été infligée en même temps qu’à la France.

Cette tâche, il faudra un jour ou l’autre l’effacer, à moins que désormais, dans le cadre d’une Europe plus largement unie, l’Allemagne ou autre nation soit chargée de nos propres intérêts.

 
Edouard Valdman  Ancien Secrétaire de la Conférence du Stage au Barreau de Paris

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