mardi 30 avril 2013

DEBRAY


Lorsque j'avais vingt ans, un jeune homme de ma génération me faisait rêver. Il s’appelait Régis Debray

En effet il s’était rendu en Bolivie après avoir publié un livre qui avait connu un très grand succès, "Révolution dans la Révolution", à propos de Fidel Castro.

Sa photo s'étalait dans tous les journaux du monde, car il venait d'être arrêté par la junte au pouvoir au moment même où il marchait sur les traces de Che Guevara. Celui-ci était abattu quelque temps après.

Le jeune homme avait un visage christique. Il était beau. Il incarnait le désir de révolution de toute une jeunesse, son exigence de justice.

L'Amérique du Sud à ce moment était la chasse gardée des Américains qui y entretenaient des bandes mercenaires assassines.

Ce garçon par ailleurs était un fils de famille. Sa mère était une amie du Général de Gaulle et appartenait au Conseil de Paris. Son père était avocat. Lui-même était normalien.

Il incarnait en conséquence le rêve de tout jeune intellectuel : joindre l'action au rêve. Il était après Byron et Malraux le dernier des grands romantiques.

Ma mère, qui était une femme simple et réaliste, et qui avait beaucoup de bon sens, me disait "Tu verras. Il n'a rien à craindre. Il sera bientôt ministre de la Culture".

Je la trouvais un peu prosaïque.

Le jeune homme se conduisit très bien, devant le Tribunal chargé de le juger. Il fut condamné à une lourde peine d’emprisonnement. Peu de temps après, il était cependant libéré. On n'a plus jamais entendu parler de ceux qui avaient été pris avec lui.

Quelque temps après encore, il se retrouvait dans le staff de François Mitterrand.

Ma mère avait raison.

Je me souviens qu'en 1981, le jour de l'élection de ce dernier, il est entré rue de Solférino, au siège du parti socialiste, par la grande porte, pas celle des militants qui, eux, n'avaient droit qu'à la porte basse du bâtiment.

Je me souviens aussi qu'il a été très étonné que le planton ne le reconnaisse pas. Il a été contraint de répéter deux fois son nom.

Le peuple passe par la porte du bas, les organisateurs par celle du haut. Cela m’a toujours très profondément choqué. Le clivage se fait dès l’origine et en tout lieu. Les uns militent et votent, les autres dirigent et touchent les prébendes.

En fait, la révolution et François Mitterrand n'allaient pas très bien ensemble et Régis Debray a été très vite marginalisé par plus malin que lui.

Entre temps il a trouvé le moyen de faire une déclaration contre Bernard Pivot depuis l'étranger. Ce dernier l’a évoquée au cours de son émission « Apostrophes ». Il aurait, aux dires de Debray, établi une dictature de la pensée à travers sa célèbre émission.

C'était vrai et assez courageux.

Il a été obligé de faire des excuses.

Il a été ensuite nommé Conseiller d'Etat, un cadeau que Mitterrand réservait à ses amis.

Une chose à retenir en sa faveur. Il n'a jamais évolué. Il est toujours resté fidèle au socialisme jusqu'à soutenir le président serbe, Miloscevic, contre les Américains.

Il avait d'ailleurs prononcé une phrase très significative et intéressante à propos de Malraux " Malraux est l'opium de la bourgeoisie".

De qui lui-même était-il l'opium?

La vérité est qu’il était animé par une immense soif de pouvoir et ses diatribes contre Jean Edern Hallier, Bernard Henri Lévy ou Philippe Sollers avaient fait date. C’était lui sans aucun doute le grand écrivain de sa génération.

Le problème est que tous ses idéaux avaient été balayés par l’Histoire. Le Socialisme s’était effondré. Il le savait si bien qu’il avait renoncé aux pré-bandes, au Conseil d’Etat, par exemple. Cela risquait de le desservir.

En fait il s’était trompé.

A l’occasion de dernier pouvoir socialiste cependant, il en remettait un peu.

Il était assez discret et prudent. On ne sait jamais.

Cependant le système avait beau lui faire de somptueux cadeaux. Il n’avait pas l’air satisfait.

Depuis longtemps, il rôdait autour d'un continent inconnu de son parti, de ses amis et de sa famille spirituelle : le continent juif. Son père était juif.

Comme beaucoup des siens, il avait rejeté la part spirituelle du judaïsme. Marx l'avait fait avant lui. Il ne pouvait parcourir l’espace qui sépare l’Histoire de la Prophétie.

Cela lui avait été dérobé ainsi qu'à ses semblables au moment de la Révolution française.

Cette dimension le tourmentait qu’il n’arrivait pas à assumer et qui aurait donné à sa vie une tout autre orientation. Pour cela, il eut fallu qu’il abandonne la pensée unique, le confort intellectuel de celle-ci et surtout un compagnonnage qui lui était très utile et à l’intérieur duquel il faisait carrière

Tel était son vrai drame, comme celui d’autres de ses contemporains, tel Max Gallo, Vernant, Stéphane Essel ou Edgar Morin. Ils avaient refoulé leur identité au profit du matérialisme historique.

Il entrouvrait de temps en temps une petite porte qui s'ouvrait vers le sacré.

La dimension Sainte selon Levinas, il ne l'avait jamais conçue et la plupart de ses amis juifs laïcs non plus.

Mais il y avait quelque chose auquel il n'avait jamais renoncé c'est le pouvoir. Il l’avait pris une première fois par l'image à Camiri, en Bolivie, puis avec François Mitterrand.

Sa dernière relation au pouvoir est sans doute la plus intéressante de tout son itinéraire.

L'académie Goncourt. La boucle est bouclée.

L'opium du peuple et de la pensée, c'est sans doute le restaurant Drouan où Régis Debray vient de rejoindre Bernard Pivot.

Gageons que Régis Debray et Bernard Pivot auront l'occasion de s'y entretenir des bienfaits en matière d'évolution de la pensée et de la permanence de la relation au pouvoir.

De la révolution à l’Académie Goncourt il n’y a qu’un pas, pour les enfants de la bourgeoisie.

Edouard Valdman

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