mercredi 2 décembre 2015

QUI SONT LES BARBARES ?

Ces jours-ci, sur France Culture, le directeur du CNRS annonçait une enquête à propos des événements récents. Il souhaiterait réunir les opinions de tout à chacun à propos de Daech. Quelle est la raison d’une telle violence ? Comment a-t-on pu en arriver là ?

Nous sommes à un moment apparemment critique de l’Histoire. On peut tout entendre et même tout concevoir. Cependant qu’un responsable intellectuel s’autorise à poser de telles questions, laisse pantois.

Sans doute compte-t-il parmi ceux qui sont tellement persuadés du bien-fondé des valeurs de notre civilisation, qu’ils ne sauraient à aucun moment les remettre en cause, ou seulement imaginer qu’on peut y porter atteinte. Nous sommes les purs, les bons, les non violents. Ce sont les autres, les barbares. Nous sommes atteints dans nos libertés, dans notre manière de vivre, dans notre culture. Nous n’avons pas l’intention de changer notre mode de vie. Nous vaincrons ceux qui veulent y porter atteinte.

Cette bonne conscience est en fait assez terrifiante. Et si c’était cela précisément la barbarie, cette certitude d’être dans le droit chemin et de ne pouvoir la remettre en cause, cette manière de rejeter sur l’autre la culpabilité.

Récemment est décédé un vieil ami, André Glugsmann qui lui-même après une lecture de Soljenitsyne avait découvert la réalité du communisme, l’horreur des camps staliniens et autres abominations des « lendemains qui étaient censés chanter ».

Pourtant pendant longtemps la plupart des intellectuels français, de Sartre à Aragon, d’Edgar Morin à Badiou et à lui-même, avaient chanté les louanges de ce système.

C’est pourquoi il faut être extrêmement prudent lorsque l’on porte un jugement sur les valeurs d’une société et celle d’une civilisation. Il faut avant tout avoir l’esprit critique.

Il est un homme actuellement aux Etats-Unis qui donne des conférences très chèrement rémunérées. Il se nomme Georges Bush. Il a été Président des Etats-Unis. Il a même été réélu une seconde fois. Cet homme, contre l’avis des Nations Unies et de la France, a envahi l’Irak de Sadam Hussein sous prétexte que celui-ci possédait des armes de destruction massive, ce qui était inexact. En fait il en avait avant tout à son pétrole.

J’ai vu une personnalité que j’admire Elie Wiesel, se joindre à lui à la télévision et lui apporter son soutien moral. J’ai même pensé un moment moi-même qu’il avait un grand projet politique au Moyen Orient et allait enfin y apporter la paix.

Il a sur la conscience la mort de centaines de milliers de personnes sans compter le pillage du musée de Bagdad et autres merveilles du monde, aussi précieuses que celles de Palmyr.

Cette guerre d’Irak a importé le terrorisme et continue de faire chaque jour des centaines de morts, au nom de la « démocratie ». Il conviendrait sans doute enfin de s’interroger à propos de celle-ci !

En tout état de cause d’un côté il y aurait la Civilisation et de l’autre la Barbarie, selon les tenants de la bonne conscience occidentale. C’est un peu simpliste.

Cette civilisation par ailleurs a l’intention d’imposer au monde son mode de vie, une mondialisation qui est en fait un matérialisme dont aucune autre civilisation avant elle n’avait fait preuve.

Pour asseoir son « progrès » elle assassine les anciennes cultures et d’abord leur religion.

C’est ainsi que l’Islam devient sa cible privilégiée. Or là, il convient de s’arrêter un instant et de faire un peu d’histoire.

En 1918, lorsque l’Empire Ottoman s’effondre, les « alliés » se jettent sur lui comme autant d’oiseaux de proie et le dépècent.

Depuis lors ils se partagent les dépouilles des peuples du Moyen Orient, les exploitent à leur profit, se jouent d’eux. Ces peuples vivent dans la nostalgie de leur unité reconquise.

Il est tout à fait normal qu’ils opposent leur violence à la nôtre. Nous feignons de nous étonner d’une terreur que nous avons engendrée.

Si nous voulons qu’elle cesse, il faut que nous rendions enfin justice à ces sociétés.

Or rien n’est moins évident que notre volonté en ce sens. Nous préférons accabler l’autre et l’accuser de nos propres turpitudes.

Bien plus lorsque Franklin Denalo Roosevelt rentre de la conférence de Yalta en 1945, après avoir fait cadeau à Staline, contraint et forcé dit-t-on, de la moitié de l’Europe, il fait un petit détour par l’Arabie Saoudite et signe avec son roi Ibn Seoud, un traité au terme duquel celui-ci lui accorde son pétrole contre des dollars bien sûr mais surtout contre son soutien militaire.

C’est ainsi que les Etats-Unis, pour leur confort matériel, soutiennent un des régimes les plus conservateurs du monde, le plus scandaleusement inégalitaire.

C’est d’Arabie Saoudite qu’est issu Ben Laden.  C’est de cette source que sont originaires, grâce aux deniers du pétrole et des trafics savants, les différents mouvements terroristes.

Le seul régime tant soit peu laïc au Moyen Orient, qui maintenait entre elles d’une main de fer les différentes ethnies qui le composaient, était celui de Sadam Hussein. C’est lui que l’on a sacrifié.

Il ne s’agit pas seulement d’erreurs politiques dramatiques qui dénotent une politique à la petite semaine, sans vision, venant pourtant d’un grand pays, mais de fautes d’une extrême gravité qui mettent en jeu le sens même de notre civilisation.

Comment accuser aujourd’hui des mouvements terroristes qui ne font que nous renvoyer nos propres méthodes ?

Le plus extraordinaire c’est que nous avons l’air de nous étonner de ce qui nous arrive et que nos gouvernements n‘ont pas un moment pensé ce phénomène. Leur bonne conscience n’a d’égale que notre naïveté.

Que ce soient l’Europe et surtout la France avec son principe de la laïcité, son idéologie des Droits de l’Homme, fondée sur la mort de la divinité en 1791, ainsi que les USA grand pays protestant, nous appartenons à une civilisation judéo-chrétienne. C’est elle qui nous fonde. La France au-delà de son idéologie actuelle a été la fille ainée de l’église. La Grande-Bretagne, l’Allemagne sont des nations protestantes. L’Italie, la Grèce sont des pays catholiques.

Or que ce soit en France avec les dérives jacobines ou aux USA avec les dérives matérialistes, nous nous sommes progressivement éloignés de nos valeurs.

Un Président de la République française souhaitait récemment que l’on ne nomme pas dans la Constitution de l’Europe ses racines chrétiennes.

A l’occasion d’une récente affaire judiciaire aux USA, on a vu la justice se livrer à un authentique lynchage médiatique, et oublier ses principes de base les plus fondamentaux.

Les préceptes les plus sacrés de notre civilisation sont actuellement bafoués au profit des soucis les plus immédiats et les plus partisans.

En France le secret de la relation entre l’avocat et son client qui est du même ordre que celui du prêtre avec le croyant, est violé. Il est pourtant une des bases de la liberté.

En fait l’initiative des terroristes, contre Charlie Hebdo, celle de Daech sont les signes d’un déficit symbolique. Ils mettent le doigt sur un mal qui est en train de gangréner notre société.

Celle-ci par ailleurs est victime de son « progrès ». Ce qui apparaissait à l’origine comme une immense avancée technologique éloigne en fait l’homme de lui-même et réduit le niveau de sa culture.

Celle-ci précisément à son origine dessinait des hiérarchies. Il fallait s’élever dans la société pour y avoir accès. Aujourd’hui paradoxalement la technologie met la sous culture à la portée de tous et c’est cet accès de tous à celle-ci qui créée la confusion et enfante la terreur.

La civilisation occidentale a évolué progressivement à travers de multiples crises qu’elle a toutes dépassées.

L’Islam n’a pas fait ce travail. Il lui a été impossible de l’accomplir. Il n’a pas été en mesure de séparer l’église de l’état et d’enfanter la liberté. Il a été incapable d’intégrer la modernité.

Ce retard ne lui laisse aujourd’hui plus que le terrorisme comme ligne d’horizon et comme moyen d’action.

Cependant les « printemps arabes » ont montré que la société musulmane souhaite évoluer. Ce qui l’en empêche sans doute, et peut être ne le sait-elle pas, c’est sa religion qui représente pour elle un absolu sans prise en compte de l’autre. Elle se pense comme étant la vérité unique.

Elle doit remettre celle-ci en cause, et accueillir l’autre d’abord en elle-même.

Cette révolution n’est pas d’abord politique. Elle est d’ordre psychanalytique. Elle doit créer avec le Père une nouvelle relation.

Nous ne pouvons que l’aider à réaliser cette authentique révolution.

Il faut d’abord affirmer nos valeurs et avant tout nos valeurs spirituelles. Il faut revenir à nos sources. Ensuite il faut accueillir les autres sociétés et leur permettre de progresser dans le respect de leur originalité.

L’Islam a été une grande civilisation. Il faut lui permettre d’évoluer à l’intérieur de sa propre culture et de franchir ce pas décisif, prendre conscience non pas de sa supériorité mais de sa singularité au côté des autres religions.

Il faut qu’il accepte d’être une religion parmi d’autres et renonce à son plus cher fantasme, la certitude de détenir la vérité.

Il n’y en a pas. Ce qui constitue notre richesse, c’est que nous sommes à la fois catholiques, protestants, juifs, laïcs et que ces multiples dimensions spiritualités vivent les unes à côté des autres à l’intérieur de chacun de nous.

Il est évident que sous la dénomination de démocratie la masse aujourd’hui pèse de tout son poids sur les décisions des gouvernants. Il faut que ceux-ci fassent le nécessaire pour s’en abstraire, quitte à fonder une nouvelle relation à la politique.

Le marché et les multinationales ne peuvent continuer à figurer les signes supérieurs de notre civilisation.

Il nous faut créer une nouvelle relation au monde. En ce sens l’équilibre et l’union entre l’Europe et les Etats-Unis, et la Russie sont une condition nécessaire à notre survie.

L’Europe doit affirmer les exigences de sa culture, les USA celle de sa relation avec Israël dont la résurrection au XXème siècle est la marque indélébile du retour du religieux au sein de notre civilisation, au côté de cet autre immense événement, la Repentance.

« Il faut fonder un empire où tout soit fervent » : Saint Exupéry

Edouard Valdman
Ecrivain
Dernier livre paru « Demain, l’Occident ! »