Ces jours-ci, sur France Culture,
le directeur du CNRS annonçait une enquête à propos des événements récents. Il
souhaiterait réunir les opinions de tout à chacun à propos de Daech. Quelle est
la raison d’une telle violence ? Comment a-t-on pu en arriver là ?
Nous sommes à un moment
apparemment critique de l’Histoire. On peut tout entendre et même tout
concevoir. Cependant qu’un responsable intellectuel s’autorise à poser de
telles questions, laisse pantois.
Sans doute compte-t-il parmi ceux
qui sont tellement persuadés du bien-fondé des valeurs de notre civilisation,
qu’ils ne sauraient à aucun moment les remettre en cause, ou seulement imaginer
qu’on peut y porter atteinte. Nous sommes les purs, les bons, les non violents.
Ce sont les autres, les barbares. Nous sommes atteints dans nos libertés, dans
notre manière de vivre, dans notre culture. Nous n’avons pas l’intention de
changer notre mode de vie. Nous vaincrons ceux qui veulent y porter atteinte.
Cette bonne conscience est en
fait assez terrifiante. Et si c’était cela précisément la barbarie, cette
certitude d’être dans le droit chemin et de ne pouvoir la remettre en cause,
cette manière de rejeter sur l’autre la culpabilité.
Récemment est décédé un vieil ami,
André Glugsmann qui lui-même après une lecture de Soljenitsyne avait découvert
la réalité du communisme, l’horreur des camps staliniens et autres abominations
des « lendemains qui étaient censés chanter ».
Pourtant pendant longtemps la
plupart des intellectuels français, de Sartre à Aragon, d’Edgar Morin à Badiou
et à lui-même, avaient chanté les louanges de ce système.
C’est pourquoi il faut être
extrêmement prudent lorsque l’on porte un jugement sur les valeurs d’une
société et celle d’une civilisation. Il faut avant tout avoir l’esprit
critique.
Il est un homme actuellement aux
Etats-Unis qui donne des conférences très chèrement rémunérées. Il se nomme
Georges Bush. Il a été Président des Etats-Unis. Il a même été réélu une
seconde fois. Cet homme, contre l’avis des Nations Unies et de la France, a
envahi l’Irak de Sadam Hussein sous prétexte que celui-ci possédait des armes
de destruction massive, ce qui était inexact. En fait il en avait avant tout à
son pétrole.
J’ai vu une personnalité que j’admire
Elie Wiesel, se joindre à lui à la télévision et lui apporter son soutien
moral. J’ai même pensé un moment moi-même qu’il avait un grand projet politique
au Moyen Orient et allait enfin y apporter la paix.
Il a sur la conscience la mort de
centaines de milliers de personnes sans compter le pillage du musée de Bagdad
et autres merveilles du monde, aussi précieuses que celles de Palmyr.
Cette guerre d’Irak a importé le
terrorisme et continue de faire chaque jour des centaines de morts, au nom de
la « démocratie ». Il conviendrait sans doute enfin de s’interroger à
propos de celle-ci !
En tout état de cause d’un côté
il y aurait la Civilisation et de l’autre la Barbarie, selon les tenants de la
bonne conscience occidentale. C’est un peu simpliste.
Cette civilisation par ailleurs a
l’intention d’imposer au monde son mode de vie, une mondialisation qui est en
fait un matérialisme dont aucune autre civilisation avant elle n’avait fait
preuve.
Pour asseoir son
« progrès » elle assassine les anciennes cultures et d’abord leur
religion.
C’est ainsi que l’Islam devient
sa cible privilégiée. Or là, il convient de s’arrêter un instant et de faire un
peu d’histoire.
En 1918, lorsque l’Empire Ottoman
s’effondre, les « alliés » se jettent sur lui comme autant d’oiseaux
de proie et le dépècent.
Depuis lors ils se partagent les
dépouilles des peuples du Moyen Orient, les exploitent à leur profit, se jouent
d’eux. Ces peuples vivent dans la nostalgie de leur unité reconquise.
Il est tout à fait normal qu’ils
opposent leur violence à la nôtre. Nous feignons de nous étonner d’une terreur
que nous avons engendrée.
Si nous voulons qu’elle cesse, il
faut que nous rendions enfin justice à ces sociétés.
Or rien n’est moins évident que
notre volonté en ce sens. Nous préférons accabler l’autre et l’accuser de nos
propres turpitudes.
Bien plus lorsque Franklin Denalo
Roosevelt rentre de la conférence de Yalta en 1945, après avoir fait cadeau à
Staline, contraint et forcé dit-t-on, de la moitié de l’Europe, il fait un
petit détour par l’Arabie Saoudite et signe avec son roi Ibn Seoud, un traité
au terme duquel celui-ci lui accorde son pétrole contre des dollars bien sûr
mais surtout contre son soutien militaire.
C’est ainsi que les Etats-Unis,
pour leur confort matériel, soutiennent un des régimes les plus conservateurs
du monde, le plus scandaleusement inégalitaire.
C’est d’Arabie Saoudite qu’est issu
Ben Laden. C’est de cette source que sont
originaires, grâce aux deniers du pétrole et des trafics savants, les
différents mouvements terroristes.
Le seul régime tant soit peu laïc
au Moyen Orient, qui maintenait entre elles d’une main de fer les différentes
ethnies qui le composaient, était celui de Sadam Hussein. C’est lui que l’on a
sacrifié.
Il ne s’agit pas seulement d’erreurs
politiques dramatiques qui dénotent une politique à la petite semaine, sans
vision, venant pourtant d’un grand pays, mais de fautes d’une extrême gravité
qui mettent en jeu le sens même de notre civilisation.
Comment accuser aujourd’hui des
mouvements terroristes qui ne font que nous renvoyer nos propres
méthodes ?
Le plus extraordinaire c’est que nous avons l’air de nous étonner de ce qui nous arrive et que nos gouvernements n‘ont pas un moment pensé ce phénomène. Leur bonne conscience n’a d’égale que notre naïveté.
Que ce soient l’Europe et surtout
la France avec son principe de la laïcité, son idéologie des Droits de l’Homme,
fondée sur la mort de la divinité en 1791, ainsi que les USA grand pays
protestant, nous appartenons à une civilisation judéo-chrétienne. C’est elle
qui nous fonde. La France au-delà de son idéologie actuelle a été la fille
ainée de l’église. La Grande-Bretagne, l’Allemagne sont des nations
protestantes. L’Italie, la Grèce sont des pays catholiques.
Or que ce soit en France avec les
dérives jacobines ou aux USA avec les dérives matérialistes, nous nous sommes
progressivement éloignés de nos valeurs.
Un Président de la République
française souhaitait récemment que l’on ne nomme pas dans la Constitution de
l’Europe ses racines chrétiennes.
A l’occasion d’une récente
affaire judiciaire aux USA, on a vu la justice se livrer à un authentique lynchage
médiatique, et oublier ses principes de base les plus fondamentaux.
Les préceptes les plus sacrés de
notre civilisation sont actuellement bafoués au profit des soucis les plus
immédiats et les plus partisans.
En France le secret de la
relation entre l’avocat et son client qui est du même ordre que celui du prêtre
avec le croyant, est violé. Il est pourtant une des bases de la liberté.
En fait l’initiative des
terroristes, contre Charlie Hebdo, celle de Daech sont les signes d’un déficit
symbolique. Ils mettent le doigt sur un mal qui est en train de gangréner notre
société.
Celle-ci par ailleurs est victime
de son « progrès ». Ce qui apparaissait à l’origine comme une immense
avancée technologique éloigne en fait l’homme de lui-même et réduit le niveau
de sa culture.
Celle-ci précisément à son
origine dessinait des hiérarchies. Il fallait s’élever dans la société pour y
avoir accès. Aujourd’hui paradoxalement la technologie met la sous culture à la
portée de tous et c’est cet accès de tous à celle-ci qui créée la confusion et
enfante la terreur.
La civilisation occidentale a
évolué progressivement à travers de multiples crises qu’elle a toutes
dépassées.
L’Islam n’a pas fait ce travail.
Il lui a été impossible de l’accomplir. Il n’a pas été en mesure de séparer
l’église de l’état et d’enfanter la liberté. Il a été incapable d’intégrer la
modernité.
Ce retard ne lui laisse aujourd’hui
plus que le terrorisme comme ligne d’horizon et comme moyen d’action.
Cependant les « printemps
arabes » ont montré que la société musulmane souhaite évoluer. Ce qui l’en
empêche sans doute, et peut être ne le sait-elle pas, c’est sa religion qui représente
pour elle un absolu sans prise en compte de l’autre. Elle se pense comme étant
la vérité unique.
Elle doit remettre celle-ci en
cause, et accueillir l’autre d’abord en elle-même.
Cette révolution n’est pas
d’abord politique. Elle est d’ordre psychanalytique. Elle doit créer avec le
Père une nouvelle relation.
Nous ne pouvons que l’aider à
réaliser cette authentique révolution.
Il faut d’abord affirmer nos
valeurs et avant tout nos valeurs spirituelles. Il faut revenir à nos sources.
Ensuite il faut accueillir les autres sociétés et leur permettre de progresser dans
le respect de leur originalité.
L’Islam a été une grande civilisation.
Il faut lui permettre d’évoluer à l’intérieur de sa propre culture et de
franchir ce pas décisif, prendre conscience non pas de sa supériorité mais de
sa singularité au côté des autres religions.
Il faut qu’il accepte d’être une
religion parmi d’autres et renonce à son plus cher fantasme, la certitude de
détenir la vérité.
Il n’y en a pas. Ce qui constitue
notre richesse, c’est que nous sommes à la fois catholiques, protestants,
juifs, laïcs et que ces multiples dimensions spiritualités vivent les unes à côté
des autres à l’intérieur de chacun de nous.
Il est évident que sous la dénomination
de démocratie la masse aujourd’hui pèse de tout son poids sur les décisions des
gouvernants. Il faut que ceux-ci fassent le nécessaire pour s’en abstraire,
quitte à fonder une nouvelle relation à la politique.
Le marché et les multinationales
ne peuvent continuer à figurer les signes supérieurs de notre civilisation.
Il nous faut créer une nouvelle
relation au monde. En ce sens l’équilibre et l’union entre l’Europe et les
Etats-Unis, et la Russie sont une condition nécessaire à notre survie.
L’Europe doit affirmer les
exigences de sa culture, les USA celle de sa relation avec Israël dont la résurrection
au XXème siècle est la marque indélébile du retour du religieux au sein de
notre civilisation, au côté de cet autre immense événement, la Repentance.
« Il faut fonder un empire
où tout soit fervent » : Saint Exupéry
Edouard
Valdman
Ecrivain
Dernier livre paru « Demain,
l’Occident ! »