Robert Badinter, avocat, ancien ministre de la
justice, ancien président du Conseil Constitutionnel, sénateur, est celui grâce
auquel la peine de mort a été abolie. Cette abolition, personne ne viendrait la
remettre en cause ou seulement la questionner. Il s’agit là d’un absolu, de
quelque chose d’intouchable qu’il a préconisé et
dont il a obtenu le vote.
Cette mesure est tout à fait discutable. En effet, ce
qui était véritablement en question quand elle a été votée, c’était le statut
de la cour d’assises. Celle-ci en effet, constituait le prolongement du
tribunal révolutionnaire créé en 1793 par la Convention nationale. Ce tribunal
jugeait sans appel. Il était infaillible. Le peuple était censé ne pouvoir se
tromper.
Cette infaillibilité du jury de la cour d’assises
avait deux siècles lorsque la loi d’abolition de la peine de mort fut votée.
Pendant deux siècles, il faut le répéter, la liberté des Français a été suspendue aux décisions sans appel de cette Cour.
Le vote accordant la possibilité de faire appel est intervenu sous le
gouvernement de Lionel Jospin en 2002, en même temps que celui ayant trait à la présomption d’innocence, soit bien après l’abolition de
la peine de mort.
Tel était le véritable enjeu.
Cependant, le vrai problème de la peine de mort, est
qu’elle présume une société désacralisée, une société
matérialiste qui, faute de certitude et de foi, ne s’autorise plus à condamner
à la peine
capitale.
Albert Camus et Arthur Koestler l’avaient bien vu dans
un livre qui a fait date Réflexions sur la peine capitale. Comment
pourrait-on prononcer, disaient-ils, une décision condamnant à la peine capitale dans une société qui a rompu toute relation avec le
sacré ?
En ce sens, Robert Badinter a été cohérent avec
lui-même, à un petit détail près cependant. Il s’est
toujours revendiqué comme « juif » et a signé des
tribunes dans le journal Le monde à ce titre. Or, être juif précisément,
c’est reconnaitre une relation avec l’espace du Sacré. Sans doute Robert
Badinter appartient-il à ce que l’on appelle les Juifs laïcs. Ceux-ci ont fait alliance une fois pour toutes
avec la République, avec les Lumières et ceci malgré l’affaire Dreyfus et
malgré Vichy.
En fait, l’abolition de la peine de mort est
critiquable dans le mépris avec lequel elle traite les criminels eux-mêmes. En effet la mort est parfois le seul châtiment à la
hauteur de leur crime. On peut imaginer un criminel s’investissant complètement
dans son acte, allant au bout de lui-même, au bout de sa passion, tel Julien
Sorel. Le crime peut être un choix par rapport à une situation donnée. Il peut
être une vengeance que l’on souhaite assouvir, un amour au bout duquel on
souhaite aller. La société n’a pas le droit de voler son crime au criminel. Il
peut s’agir pour lui d’un acte de liberté. Lui retirer la possibilité de ce
châtiment suprême corollaire de son acte, c’est rabaisser celui-ci.
C’est donc à lui qu’il reviendrait de choisir. Il doit
pouvoir revendiquer la mort et considérer que seule celle-ci est à la hauteur
de son acte. Encore faut-il qu’il puisse revendiquer cette peine. C’est ce qui
s’est passé avec Buffet et Bontemps, les derniers condamnés à mort. Ils ont
demandé leur condamnation.
L’abolition résulte d’un parti pris qui semble
exprimer un souci humanitaire et qui substitue en fait à une condamnation à mort
une peine d’enfermement à plusieurs années de détention. Mais ce sont ces longues
peines qui expliquent le nombre considérable de suicides dans les prisons françaises.
Les condamnés à des peines de plusieurs années de
prison y trouvent-ils leur compte ? Si on leur posait la question, il est
possible qu’ils choisiraient la mort.
Par ailleurs, ces années de prison ont un coût. Nous
entretenons des criminels et des terroristes qui, eux, n’ont que mépris pour la
vie humaine.
L’abolition de la peine de mort n’est pas
nécessairement un progrès vers une humanité plus compatissante. Elle est une
faiblesse devant le crime et surtout une difficulté à le penser. Elle est une
défaite devant le caractère sacrée de la vie humaine.
En outre, la condition des prisons françaises est depuis toujours un scandale. Robert
Badinter, lorsqu’il était ministre, n’a pas réussi à y remédier. La France est
régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Ce mépris des Français pour leurs prisons révèle une mentalité intolérante et la
Révolution n’a fait qu’accroitre le malaise. Nous vivons toujours sur le
principe de l’aveu, cher à l’Inquisition, sur la culpabilité, et ceci demeure
au-delà des pétitions de principe.
La loi sur la présomption d’innocence, essentielle,
est intervenue récemment pour de mauvaises raisons d’ailleurs. Il s’agissait de
venir en aide aux hommes politiques mis en examen. En tous cas, cette
présomption établit une procédure fondamentale du droit anglo-saxon, installée
en Grande-Bretagne au XVIe siècle, l’Habeas Corpus, qui est le véritable
fondement de la démocratie anglaise et de la liberté. N’en déplaise à la gauche
française et même à la droite, les Anglais sont en avance
sur nous en ce qui concerne celle-ci. Ils ont résisté à Hitler. Quant à
Napoléon, ils ont su déceler en lui, au-delà du héros, l’authentique tyran.
Les États-Unis qui sont un pays protestant en majorité, Israël qui est une nation religieuse, ont conservé la peine de mort, même si elle est exceptionnelle. Ce qui est en cause
aux États-Unis c’est moins la peine elle-même que la manière dont elle est distribuée. Il s’agit là d’une pratique barbare qu’il faut modifier.
La peine de mort doit être une mesure de justice et elle doit respecter le
condamné.
La vérité est que la France, si elle a abattu un certain
nombre de tyrans, a surtout tenté de détruire en elle un espace indispensable à
la survie de l’humain. Les principes de la Révolution française, telle que la laïcité, les droits
de l’homme, la liberté, tous fondés sur la mort de Dieu et la toute-puissance
de la raison, n’ont pas été choisis par les Français, mais imposés par la dictature jacobine.
La justice française est
l’exemple le plus probant du caractère totalitaire des structures de la France.
Le symbole en est le juge d’instruction tout puissant, crée par Bonaparte, et
qui décide souverainement de l’enfermement des citoyens. Certes, des réformes
ont été apportées qui ont réduit la toute-puissance de celui-ci, en particulier
par Robert Badinter. Aujourd’hui, il lui est adjoint un magistrat au moment de
la mise sous mandat de dépôt : le juge des libertés.
Cependant, l’identité française construite par la royauté et l’Église, modifiée par la Révolution et l’Empire, demeure autoritaire,
dans la droite ligne de l’Inquisition. Une
présomption de culpabilité pèse sur la société française, au-delà des récentes réformes,
c’est toujours l’Inquisition. Nous nous situons
toujours dans un système inquisiteur face à des pays
anglo-saxons qui évoluent eux-mêmes dans un système accusatoire.
Nous avons vu qu’en France, la droite comme la gauche
se rejoignent dans une complicité négative, à savoir le meurtre du père, le
parricide. Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de reconstruire la
symbolique au centre de l’État. La lutte qui intervient entre la bourgeoisie
libérale de
sensibilité anglo-saxonne, et la
bourgeoisie conservatrice, incarne cette césure.
C’est toujours l’absolu contre la tolérance, la
Sorbonne contre l’humanisme, le Collège de France contre l’Inquisition. La bourgeoisie libérale cherche à faire prévaloir des
idéaux qui se rattachent davantage à la Réforme.
La peine de mort en effet a longtemps constitué un
supplice. Elle a été un rite, et ce dans toutes les civilisations. Il ne s’agissait
pas seulement de punir mais de « sacrifier » dans la mesure où l’ordre de
la Cité avait été transgressé ou aboli. C’est le mythe d’Antigone.
La transgression méritait davantage qu’un châtiment. Il fallait que celui-ci fût exceptionnel, car
il devait empêcher le retour de tels actes qui troublaient l’ordre de la cité
et bien plus, l’ordre du monde.
La volonté de rompre avec le sacrificiel est inscrite
dans l’abolition de la peine de mort. Désormais, nous nous situons dans la pure
rationalité. Nous passons de la peine capitale à l’enfermement. Celui-ci est censé être plus humain. Mais il faudrait
questionner à ce sujet des prisonniers condamnés à passer leur vie entière derrière les barreaux. Seuls eux pourraient répondre.
Le sacrificiel désormais aboli, le nouveau châtiment
est sans doute pire que la mort. Il est glacé, concentrationnaire, à perpétuité. Il a le visage de l’homme technologique, de l’homme
industriel, avec tout l’arsenal des quartiers de haute sécurité. En fait,
l’homme ici n’a plus de visage. La condamnation à la peine de mort donnait un sens à sa vie, à son acte. Elle le hissait
à la hauteur du tragique. Ici il n’y a plus rien. L’homme est devenu une ombre.
Edouard
Valdman
A paraitre : Le
drame français