mardi 21 mai 2019

Quelles menaces sur l'Europe ?

Au tournant de chaque siècle se reproduit le même déséquilibre au centre de la civilisation occidentale, entre l’espace du tragique dont Nietzsche est l’héritier spirituel au sein de notre culture, et la prophétie représentée aujourd’hui de manière perverse par la mondialisation et le marché mondial.

Il s’agit en fait d’une lutte immémoriale entre l’espace culturel grec, notre origine, et la prophétie juive notre autre source.

Le problème est que l’affrontement entre ces différentes catégories ne se passe jamais franchement, mais de manière voilée.

Aujourd’hui, la prophétie a pris le visage de la mondialisation. Or celle-ci est loin d’avoir cette configuration. Elle est au contraire une tension vers une réconciliation universelle face à un espace souvent héroïque mais clos. Elle se dissimule la plupart du temps derrière d’autres voies plus subtiles et plus tempérées.

L’espace tragique fait de même. A l’occasion du dernier conflit mondial, beaucoup de beaux esprits ont vu dans le phénomène Hitler le retour des anciens Dieux.

La vérité, c’est que l’équilibre entre ces deux dimensions est difficile à tenir. Il est remis en cause à nouveau aujourd’hui et l’Europe se recroqueville sur elle-même face à la mondialisation. Elle ne doit pas se tromper de combat. S’il lui convient face à celle-ci de conserver ses valeurs immémoriales, elle ne doit pas se fermer pour autant au progrès et à ses possibilités.

Le populisme est devenu la nouvelle menace. Cependant l’Europe, comporte désormais un nombre important de gardes fous qu’elle ne connaissait pas à l’occasion du dernier conflit mondial.

La présence des Etats-Unis, celle d’Israël constituent des repères solides.

Il n’en reste pas moins que la vigilance est nécessaire et que l’équilibre est toujours précaire. C’est celui-ci qu’il est nécessaire de sauvegarder.

Ce qui m’a toujours paru étonnant et dans une certaine mesure scandaleux, dans les débats à propos de l’Europe, c’est l’absence du discours proprement intellectuel. Quel homme ou quelle femme politique, a jamais évoqué Nietzsche, Voltaire, Goethe, Shakespeare, Mozart pour la fonder, leur dialogue au-delà du temps ?

Or s’il est une nécessité pour celle-ci, c’est bien l’union des cultures : c’est elle qui constitue son fondement authentique.

L’Europe est d’abord représentée par la Grèce, c’est-à-dire par la beauté, l’art et la science, puis par Rome, son sens de l’Etat et du Droit, enfin par la chrétienté qui lui distribue le signe de l’amour et la dimension messianique.

Face au marché américain, au communisme chinois et à l’empire russe renaissant, elle se veut d’abord le lieu de l’harmonie, de la mesure et de la démocratie. Ce que nous devons avant tout préserver, c’est le sens de l’Homme. C’est nous qui l’avons inventé.

On a d’abord voulu jeter les bases économiques. Elles sont nécessaires. Elles ne sont pas suffisantes. On le voit bien aujourd’hui alors que l’Europe marque le pas, bien que celles-ci, aient été établies et développées.

Si on a hésité à évoquer ces bases intellectuelles et spirituelles, c’est sans doute parce qu’elles sont les plus difficiles à préciser, qu’on a tenté de les éluder en envisageant les choses d’un point de vue matérialiste, en pensant que les infrastructures engendreraient les superstructures : discours fallacieux et dépassé.

La vérité est que l’Europe englobe des pays de cultures différentes et d’abord de religions différentes. La Grande-Bretagne, l’Allemagne sont des pays protestants. L’Italie, l’Espagne, sont des pays catholiques, la France laïque.

Immense fossé, car sous couvert de ces différentes religions, ce sont les régimes économiques qui diffèrent. Les premiers sont libéraux, davantage capitalistes, les autres, sociaux-démocrates davantage étatiques.

Contrairement au souhait d’un ancien Président de la République Française, si l’on veut construire l’Europe, il ne s’agit pas de passer sous silence ses origines chrétiennes mais de nommer au contraire l’ensemble de ses sources spirituelles. L’Europe doit se dire plurielle, c’est-à-dire catholique, protestante, laïque, juive.

C’est le seul moyen pour elle de conserver son identité.

Or le problème, c’est que l’Etat Nation, au sens européen du terme, tel qu’il s’est développé à partir de la Révolution française, ne permet pas d’intégrer les différences. C’est parce qu’il a été incapable  de le faire que se sont produits les derniers cataclysmes, les conflits mondiaux.

Les structures de la France sont à la fois catholiques et révolutionnaires. Il n’y a pas de place pour la différence d’autant plus que la Révolution à travers Rousseau et malgré son vocable nouveau, a reconduit les hiérarchies de la Monarchie et de l’Eglise, celles du tout Etat.

Si l’Europe veut se constituer, elle doit s’abstraire des structures de l’Etat Nation pour entrer dans la dimension de la Fédération ou de la Confédération tels les USA. C’est d’ailleurs le même mouvement que devraient entreprendre les pays du Moyen-Orient s’ils veulent jeter les fondements d’une paix authentique.

Il ne faut pas oublier par ailleurs que l’Europe porte un immense fardeau spirituel qui est rarement évoqué : l’Holocauste.

Sans vouloir entrer plus avant dans ses causes profondes, politique désastreuse des réparations de la France vis-à-vis de l’Allemagne après la première guerre mondiale, menace communiste, crise de 29, etc, ce qui est directement en cause dans cette Catastrophe, c’est précisément la structure de l’Etat Nation.

Celui-ci malgré la Réforme protestante en Allemagne, qui était un pas en avant dans l’aventure de la liberté, s’est avéré  incapable d’intégrer les différences. Seule la pluralité humaine telle qu’évoquée par Hanna Arendt peut le réaliser.

Il convient de créer une Fédération ou une Confédération qui pose à sa base ce principe : l’homme avec ses semblables.

Comme l’a encore souligné Hanna Arendt, la grande invention des américains dans le domaine politique, c’est le fait d’avoir reconnu que souveraineté et tyrannie ne faisaient qu’un. Sa critique de la philosophie des Lumières et de l’indétermination de la notion de Peuple qui nécessite l’appartenance à  un territoire, vise directement la vulnérabilité de celui-ci.

Si l’Europe s’avérait incapable de s’élever au-delà des Etats nations qui la composent, sans doute faudrait-il s’attendre au retour des extrémismes.
Seule cette constitution pourrait donner à la Shoah une signification historique transcendante. Par le mouvement même de la création de ces structures nouvelles, l’Europe dépasserait la Catastrophe.



En 2003, est votée en France une loi essentielle à la fois en ce qu’elle institue l’appel des arrêts de la Cour d’assises et introduit la présomption d’innocence, née elle-même en Grande Bretagne au 17eme siècle et qui est un pilier du droit anglo saxon.

C’est ainsi que le droit anglais vient apporter à la loi française qui se situe toujours à l’intérieur d’une procédure inquisitoriale, un élément qui bouleverse sa configuration générale.

C’est ici que l’on voit à quel point l’Europe peut d’une nation à l’autre permettre l’échange d’acquis fondamentaux.

La France de tradition catholique, puis révolutionnaire, est toujours victime de la culpabilité. La situation lamentable de ses prisons est régulièrement pointée du doigt par la Cour européenne de Justice.

L’inquisition perdure au-delà du principe des droits de l’homme. On pourrait dire que ce principe l’a encore renforcée.

Ce n’est que dans le cadre de l’Europe qu’une véritable évolution pourra intervenir.
Seul un droit européen permettra de s’élever au-delà des lois nationales, en constituer une synthèse, et les dépasser dans l’intérêt de la liberté.



Jusqu’à ce jour le livre a été notre emblème et l’écrivain le représentant de l’élite. Chaque livre, chaque auteur avait référence à la Bible, au Coran ou à l’Evangile. Le livre ne se suffisait pas à lui-même mais avait un lien à une culture, en relation elle-même avec le Sacré.

C’est à l’intérieur de cette mémoire que les auteurs se sont situés jusqu’à ce jour.
Aujourd’hui nous assistons à une évolution très périlleuse. Le livre semble s’en être abstrait, pour vivre sa vie propre, au-delà de toute référence au Sacré. Il se vend au kilo sur tous les marchés du monde.

Il s’agit d’un grand péril pour la civilisation. Celle-ci en effet, a référence à des sources spirituelles. Ce sont celles-ci qui donnent vie au livre. Si l’auteur ne croit pas qu’il fait appel à des forces transcendantes, il n’y a pas de Livre.

Dans toute démarche artistique il y a appel vers l’autre, vers le miracle de la rencontre. Toute écriture est cri vers l’infini. Ecrire, c’est déjà fonder un au-delà de l’homme. Actuellement, tout ce qui appelle vers cette transcendance gène. Cela risque de troubler les lois du marché.

Si l’on veut sauvegarder la civilisation, il faut permettre au livre de reprendre sa place traditionnelle dans notre culture. Pour cela il faut revenir à nos sources spirituelles.

Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est la profusion de la marchandise qui a la prétention d’intégrer les œuvres d’art ? Paradoxalement l’Islam tant décrié peut sauvegarder certaines valeurs primordiales, ainsi que le Judaïsme qui, à travers le Retour d’Israël redonne vie à la transcendance.

Le problème climatique lui-même n’est que le reflet d’un mal plus profond. Il révèle la crise de la pensée occidentale qui a rompu avec le Sacré et tenté de faire de l’Homme le maître de la création.

On pourrait dire que la nature se venge. Celle-ci en effet doit être respectée. Ce respect n’existe que dans une relation à une plus haute spiritualité.

A partir du moment où la nature est considérée comme un objet de pure exploitation et de rendement, en vertu d’une pensée matérialiste, il n’y a pas de raison qu’elle ne disparaisse.

Si l’homme veut à nouveau ré-enchanter la terre, il doit reprendre contact avec ses sources spirituelles et remettre l’Esprit à sa vraie place. Il faut renverser la pyramide.

Ce ne sont ni l’économie, ni l’écologie qui fondent l’homme. Ce ne sont pas ses seules relations sociales. Ce qui le fonde, c’est l’Esprit.

Edouard VALDMAN