(UNE EXPOSITION DE
GERARD FROMANGER AU CENTRE GEORGES POMPIDOU du 17 février au 16
mai 2016)
J’ai connu Gérard Fromanger et le Front des Artistes Plasticiens (le FAP) dans les années 70, dans le prolongement du Mouvement de Mai 68.
Ce groupe de peintres « contestataires » se réunissait chez un pseudo-intellectuel (terme devenu à la mode comme chacun sait) Redélé, qui habitait au 7 de la rue Mazarine.
J’avais d’ores et déjà rencontré Jean Hélion, grand artiste français, qui avait fait une première partie de sa carrière aux Etats-Unis.
J’avais eu avec lui des conversations passionnantes à propos de l’art. Je venais moi-même de publier mes premiers textes poétiques et il m’a fait l’honneur d’illustrer deux de mes recueils. Sur la couverture de l’un de ceux-ci, intitulé « Mai 68 » figurait la photo d’une de ses toiles « La flamme » qui constitua ultérieurement le titre d’un de mes ouvrages.
Dans l’antre de ce « gauchiste » se réunissaient un nombre important de peintres qui prétendaient s’interroger sur la relation des artistes avec le marché de l’art. Ils étaient tous de gauche avec cependant des nuances. La plupart étaient plutôt maoïstes, ou appartenant à des groupuscules, telle la Ligue Révolutionnaire.
En tout cas, dès alors s’élaborait une authentique stratégie pour mettre en cause le marché de l’art à l’occasion notamment d’une exposition qui allait devenir très fameuse « L’expo Pompidou » !
Georges Pompidou avait décidé en effet, dans le prolongement de la création du Centre Beaubourg, celle d’une grande exposition d’arts plastiques destinée à promouvoir la peinture française et à la mettre à l’unisson du marché international.
C’était une initiative très louable.
Le FAP prit immédiatement position « contre ». Cette exposition était selon lui destinée à être la vitrine de l’art bourgeois capitaliste.
J’ai participé à ce moment, dans le cadre d’un journal qui a disparu depuis « L’art vivant », à un débat avec Jean Clair, futur académicien, à propos de cette manifestation.
J’étais devenu insensiblement, par affinité, proche de l’ensemble de ces artistes, en quelque sorte leur témoin.
De nombreux peintres, qui avaient été invités à cette exposition et qui en auraient dû être honorés, décidèrent de refuser leur participation, avec sans doute quelques arrières pensées. Ce fut le cas d’artistes du FAP, tels Cueco, Louis Cane, Marc Devade, Fromanger et autres.
Peu d’intellectuels avaient suivi le FAP. Pierre Bourgeade était un de ces rares, qui jusqu’à présent avait rarement écrit sur la peinture et qui était plutôt connu pour ses livres érotiques.
Le plus adroit, le plus politique et le plus séduisant parmi ces artistes était sans aucun doute Gérard Fromanger.
Il déployait dès alors la stratégie d’une future carrière. Il avait préparé sa prise de pouvoir, à l’occasion de cette exposition, qui devait être, selon lui, un événement culturel important.
Il s’était lié à titre personnel à des intellectuels qui avaient sans doute intérêt, pour leur propre renommée, à s’entourer d’artistes : Guattari, Gilles Deleuze, Michel Foucault, sans oublier Jacques Prévert, une très ancienne relation de Gérard.
Avec Deleuze en particulier, Fromanger avait organisé le sabotage de l’ « Expo Pompidou ». Il était difficile de l’entamer véritablement car il s’agissait d’un immense événement qui se déroulait au Grand Palais. Cependant à l’occasion de son inauguration, on pouvait créer un « scandale », qui ferait du bruit et rejaillirait sur la notoriété des artistes concernés.
C’est ce qui est advenu. Un certain nombres de peintres ont retiré leurs toiles sous les flashs des photographes, tels Cueco, Ipousteguy, Le Parc et autres artistes de moindre renommée.
J’étais présent à ce moment, devant le Grand Palais, et je me souviens que Deleuze et Fromanger, les maîtres de cette initiative, avaient manifesté bruyamment et avaient attiré l’attention des CRS. Ils les avaient provoqués et ils cherchaient à tirer les dividendes de ce comportement.
Fromanger prétendait à l’époque, ce qui était exact, avoir appartenu à une galerie parisienne importante, la galerie Maeght, et s’en être échappé pour des raisons idéologiques, ce qui était plus problématique.
Maeght représentait le Capitalisme et lui Fromanger, le Peuple. Il faisait semblant de le croire.
A peine avait-il donné son congé de la galerie Maeght qu’il entrait dans une galerie non moins importante, la galerie Denise René, où il exposait des figurines chinoises. C’était sa période Maoïste. Foucault et Deleuze cautionnaient.
Il y avait un autre intellectuel que Rédélé, le propriétaire de l’appartement de la rue Mazarine accueillait avec beaucoup de précaution et de bienveillance, c’était Jean-Paul Sartre.
Il évoquait évidemment de sa voix sourde le « pouvoir gaulliste », « sa dictature » (selon ses schémas habituels, démagogiques). Il était déjà très âgé et ne pouvait se déplacer aisément.
Après ces péripéties assez frivoles, à l’occasion desquelles Fromanger et consort prétendaient mettre en cause le marché de l’art, ce qui n’était pas en soi déraisonnable et était même opportun, les choses ont repris leur cours et les carrières leur droits.
Fromanger est resté fidèle à ses amis de Libération, Serge July et autres, et à la gauche surtout lorsqu’elle eut pris le pouvoir en 1981. A chacune de ses expositions celle-ci se déplaçait en bloc, tels Jacques Lang, Jospin et Geismar, l’ancien Révolutionnaire, devenu inspecteur de l’Education Nationale.
Les « révolutionnaires » qui avaient tous été plus ou moins défendus par Henry Leclerc, célèbre avocat des gauchistes, étaient devenus des personnages importants de l’establishment socialiste ? Ils étaient tous « casés » tel Henry Weber, ami de Laurent Fabius, mari de Madame Servan-Schreiber, productrice de films, devenu entre-temps Sénateur. On était en plein dans les « fromages » comme les nommait François Mitterrand lui-même.
Sur ce plan de la fidélité, je dirais que Gérard Fromanger a été cohérent.
Le vrai problème est celui de son art. Il appartient au mouvement de la Figuration Narrative aux côtés d’artistes tels Monory, Rancillac…
Au-delà des déclarations d’intention qui figurent sur les murs de l’exposition Fromanger, qui se produit actuellement au Centre Georges Pompidou, il s’agit essentiellement de photos sur lesquelles le peintre déploie de la peinture.
C’est en fait un décalque de notre société, la mise en valeur de ses thèmes les plus voyants comme autant de codes.
Il existe un jeu de contrastes entre les couleurs très vives et très plaisantes et les événements évoqués qui sont tragiques (assassinat de Pierre Overney) ainsi que la modestie des lieux (une rue de traverse).
Cela sans doute est très coloré et plaisant. Il s’agit néanmoins d’un simulacre. Il n’y a toujours pas de Réalité.
Tel est d’ailleurs le drame de l’art contemporain. Il a perdu le contact avec celle-ci. Il a perdu le contact avec l’Etre.
Cette forme s’inscrit dans la mouvance du Pop Art américain, il en constitue un remake.
Cette exposition est gaie, « elle en met plein la vue » mais il s’agit davantage d’un divertissement que d’une véritable mise en cause d’une société ou simplement d’une Création.
Prétendre apporter au problème de l’aliénation du Marché une réponse de cet ordre est assez léger. En fait cette exposition reproduit ce qu’elle prétend interpeler.
Pour qu’il y ait rupture authentique à l’intérieur de l’aliénation, il faut une reprise en compte de l’homme au plus profond de lui-même, non pas dans une opération de séduction mais dans la quête d’une vérité.
On se met à penser à Boltanski, au Grand Palais, ou à Kieffer qui annoncent d’authentiques propositions dans le domaine de l’art, ou à Velikovic.
Fromanger s’est entouré d’intellectuels, tels Gilles Deleuze ou Michel Foucault. Cela fait mode. Cependant Deleuze, dans l’ « Anti-Œdipe », un livre intéressant, fait l’éloge de la toute-puissance du désir comme l’ont fait avant lui Spinoza ou Nietzsche, mais moins génialement.
On a eu l’occasion constater historiquement ce que la toute-puissance de celui-ci a donné lorsqu’il s’est séparé de la Loi.
Quant à Foucault, l’homme des marges, son adhésion au Sacré à la mode iranienne, ne peut être en relation avec une pensée très authentique. Il ne suffit pas par ailleurs lorsque l’on est professeur au Collège de France de se rendre dans les prisons pour restituer à l’individu sa dignité.
Il faut lui proposer un authentique projet d’existence.
Il s’agirait sans doute aujourd’hui, contre ces penseurs de la sérialité, de reconstruire un monde plutôt que de « déconstruire » une civilisation.
Il parait que François Hollande et le gratin du socialisme se sont rendus à l’inauguration de l’exposition Fromanger au Centre Georges Pompidou.
Si les couleurs que le peintre met en avant ont pu dérider François Hollande, d’une certaine manière le pari de Fromanger serait gagné.
En fait comme le dit la presse, Fromanger, ce vieux « loup de la gauche », n’a présenté au public qu’un aimable divertissement.
Alain Jouffroy, le critique et ami de Gérard Fromanger, décédé quelque temps avant l’exposition avait défini l’ensemble des artistes de la Figuration Narrative comme les « Prévoyants ».
Je crains au contraire que ces artistes, comme l’ensemble de la gauche, aient dénoncé, mais n’aient rien prévu.
Mai 68 dont Gérard Fromanger se réclame aurait pu apporter à celle-ci un élan poétique primordial.
Elle ne l’a pas compris et au contraire l’a conduit vers l’aplatissement, la bureaucratie et la médiocrité.
L’élan de Mai qui était avant tout celui du Sacré, elle l’a annihilé ou tout simplement ignoré.
Aucun artiste ne représente authentiquement aujourd’hui cet espoir, ni cet élan.
Gérard Fromanger donne, à cette exigence du Sacré et de l’absolu, une réponse aimable qui ne possède pas de véritable originalité et surtout aucun critère d’une authentique création.
L’échec de la gauche sera aussi celle de son art.
L’échec de la gauche sera aussi celle de son art.
Edouard VALDMAN
Ecrivain
Dernier livre paru « Demain, l’Occident ! », L’Harmattan, 2015
Ecrivain
Dernier livre paru « Demain, l’Occident ! », L’Harmattan, 2015