dimanche 8 septembre 2019

Pour William Chattaway, artiste peintre et sculpteur décédé à Waterloo le 25 juillet 2019

J’ai connu William Chattaway dans les années 70 par l’intermédiaire de mon ami Fabrice, le fils du peintre Jean Hélion.

Fabrice voulait me faire connaître cet artiste sculpteur ami de son père qui habitait alors rue Vercingétorix à Montparnasse.

"Bill" nous accueillit avec beaucoup de gentillesse.

Bill avait apparemment beaucoup de considération et de respect pour Jean. Celui-ci jouissait d’une réputation internationale et s'était retiré en France après une carrière américaine très féconde.

Fabrice était lui-même le fils de Pegeen, l’épouse de Jean, elle-même fille de Peguy Guggenheim. Elle s’était suicidée après sa rupture avec Jean. Celui-ci s’était remarié avec Jacqueline avec laquelle il vivait à présent, 4 rue Michelet à Paris et, la plupart du temps à Bigeonnette, dans un petit manoir près de Chartres.

C’était l’époque où je commençais à m’intéresser très sérieusement à la peinture. Fabrice a été sans doute pour moi un intercesseur privilégié.

Son père était un personnage étonnant, cultivé et très créateur. Il avait connu la célébrité en Amérique avant et après la guerre, pendant la période de l’abstraction.

Il avait évolué et sa peinture était devenue davantage figurative. Le marché américain n’avait pas voulu le suivre. C’était une des raisons pour lesquelles il était revenu en France.

En tout cas, Bill avait beaucoup d’estime pour lui, et même d’admiration.

Jean Helion avait fait carrière. Il se débrouillait assez bien dans ce monde extrêmement complexe de l’art où se mêlaient les intérêts intellectuels artistiques et matériels les plus contradictoires.

Bill ne possédait pas ce talent. Il semblait perdu dans ce monde. Il était très pur, d’une certaine manière innocent, avec une conception très élevée de l’art. Il le mettait au-dessus de tout.

Bill était anglais et s’était installé à Paris après un voyage qui l’avait séduit.

Il  était accompagné dans son aventure artistique par Deborah, son épouse, une femme douce et charmante. Je ne suis pas sûr qu’elle ait possédé les qualités d’agressivité suffisantes pour l’aider à faire carrière. Elle était comme lui une idéaliste et possédait un grand respect humain.

Il m’est arrivé d’évoquer auprès de Bill le « marché » de la peinture. Ce mot seul le faisait frémir. Il ne connaissait rien aux méandres de ce dernier.

Il avait eu contact à cette époque avec Claude Bernard, un marchand parisien. Celui-ci qui avait d’incontestables qualités de commerçant et d’esthète était par ailleurs « un tueur ». Il accompagnait quelque temps un artiste, lui constituait une certaine renommée puis, brusquement, le laissait tomber, ce qui était la plupart du temps pour un jeune artiste, catastrophique.

C’est ce qui s’était passé avec certains de mes amis, tels Queffurus, Barthélemi et Ipousteguy.
C’est ce qui s’était passé avec Bill. Claude Bernard avait rencontré son œuvre, l’avait appréciée, avait commencé à la prendre en charge puis l’avait brusquement abandonnée. Il prétendait que la raison en était que Bill aux Etats-Unis avait questionné une de ses clientes à propos des prix qu’il pratiquait.

Le seul artiste que Claude Bernard n’avait pas réussi à détruire c’était César. Il l’avait soutenu au début de sa carrière classique puis quand celui-ci s’était lancé dans les compressions, il ne l’avait plus suivi.

Cependant à cette époque César avait déjà une renommée, une carrière. Il s’était fait un nom.
Il avait été récupéré par Pierre Nahon.

Par ailleurs César était un battant. Il avait une dose de talent, d’intelligence et d’énergie exceptionnelle.

Bill plus tard avait déménagé de la rue Vercingétorix pour la rue du Commerce, dans un autre atelier. Je m’y suis rendu très souvent, je me souviens qu’il avait l’intention à ce moment de’ sculpter mon visage ; Cela ne s’est pas fait, je le regrette vivement.

Je suivais l’évolution de son travail pour lequel j’avais la plus haute estime. Il y avait dans celui-ci une dignité une hauteur et une fidélité que j’appréciais au plus haut point.

C’était une œuvre austère, difficile dans le monde moderne, la plupart du temps superficiel.
Elle était très exigeante. Elle portait en elle une incontestable gravité.

De temps en temps, Bill m’invitait à des vernissages dans des galeries qui prétendaient montrer son œuvre. Les rapports avec celles-ci était la plupart du temps difficiles. Il devait être trop vrai.

On lui reprochait d’être trop proche de Giacometti mais on reprochait en même temps à César d’être trop proche de Germaine Richier.

Il avait réalisé une très belle sculpture de Georges Bernanos, qui se trouve désormais au carrefour de Port Royal tout en haut du jardin du Luxembourg.

Il m’avait conté les différentes péripéties qui avaient jalonné la réalisation de cette œuvre. Cela avait été pour lui très éprouvant.

Comme beaucoup d’artistes authentiques, il avait un rapport difficile avec le réel.

Bill avait été ensuite nommé membre de l’Institut et cela l’avait sans doute rendu heureux. Mais c’était un solitaire et il ne suivait pas toujours les séances de celui-ci, au moins quand elles le détournaient de son travail.

Pour des raisons financières, il avait quitté la rue du Commerce pour un atelie à Champigny sur Marne.

Cela n’avait pas été très judicieux car il s’était éloigné de Paris. J’allais lui rendre visite de temps en temps et nous allions nous promener au bord de la Marne.

Bill avait un fils Tom qui était entré à Polytechnique, s’était marié et avait eu plusieurs enfants.

C’est chez Tom, au sein de sa& famille, que Bill s’était retiré après la mort de Deborah.
La solitude à Champigny l’avait alors très fortement éprouvé.

Il avait fini par rencontrer deux galeries parisiennes, toutes deux rue de Seine :  Bob Valois qui montrait ses œuvres de temps en temps, ainsi que Olivier Nouvelet.

En tout cas, Bill était présent dans les dernières Fiac chez Valois.

Bill ne comprenait rien au monde de la marchandise. C’était un artiste pur, un grand artiste sans doute méconnu.

En tout cas, il possédait au plus haut point une vertu qu’appréciait le philosophe Alain « sans la fidélité, l’intelligence est une fille ».

Bill, comme Giacometti, mais autrement a sculpté l’homme décharné de notre temps, l’homme déstructuré, l’homme réduit dà sa plus simple expression.

Bill n’a jamais eu l’intention de faire des affaires ou que son art lui rapportât.

Il sculptait puis il claquait la porte.

Edouard VALDMAN