vendredi 17 janvier 2014

A l'occasion du décès de Sacha Sosno déc. 2013


J’ai fait la connaissance de Sacha Sosno dans les années 60. Je l’ai croisé à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. 

Je l’ai retrouvé dans les années 70, rue des Thermopyles à Paris, où il venait d’installer son atelier de sculpteur.


Il avait d’abord été tenté par l’aventure au sens malrausien du terme. Il est allé au Biafra au moment le plus critique de la guerre.


Il avait changé de cap, c’est le cas de le dire, car sa vocation artistique s’était affirmée au cours d’un long voyage en bateau. Avec Macha, sa compagne, dès alors il avait traversé l’Atlantique.


Il était allé se quérir. C’est là qu’il s’est trouvé.


Ma vraie rencontre avec Sacha s’est produite en 1989 à Nice sur le Cours Saleya. Né moi-même dans cette ville, monté à Paris, j’étais resté sans y venir de nombreuses années après la mort de mes parents.


J’eus soudain envie de redescendre. J’ai croisé Sacha sur le Cours Saleya. Nous avons renoué connaissance. Je lui ai parlé de mon parcours, de mes livres (j’en avais publié quelques-uns) et il m’a lancé « tu devrais écrire un livre sur l’Ecole de Nice ! ».


C’est ainsi qu’est né  notre  livre,  Le Roman de l’Ecole de Nice.


Sacha, d’origine lituanienne, comme Emmanuel Levinas, s’était installé à Nice avec ses parents dans les années 40. Ultérieurement il avait rencontré les principaux artistes de ce qui sera l’Ecole de Nice, Arman, Raysse, Klein. Il avait développé l’idée d’un groupe, d’une Ecole. C’est lui qui l’a nommée le premier.


Grâce à Sacha, je me suis mis en relation avec les différents artistes de ce groupe et j’ai élaboré un livre avec eux, sous forme d’entretiens.


Les contacts avec Ben, César, Chubac et autres Gilli, Verdet et Venet ont été chaleureux.
En fait, j’avais envie de savoir ce qu’il en était de leur démarche, dans la suite de celle de Marcel Duchamp, et je crois l’avoir assez bien discernée. Ils en étaient effectivement les enfants.


Je me souviens de l’entretien que j’ai fait avec Arman. Cela se passait dans un restaurant de Saint Paul de Vence, en février ou en mars de 1989. J’avais averti Sacha de cette rencontre et nous nous sommes retrouvés à 30 ou 40 personnes autour de la table. Arman partait le lendemain pour une installation en Corée.


Il venait d’être opéré et je m’étonnai. Son collaborateur Boisgontier me dit «  s’il n’était pas celui-là qui part en Corée après cette intervention, il ne serait pas là où il est. »


Mon livre a été publié en 1990 aux éditions de La Différence. A cette occasion, Jean Ferrero a organisé dans sa galerie de la rue du Congrès à Nice  un magnifique vernissage. Sacha Sosno était l’âme de cette manifestation. Tous étaient présents, Arman, César, Chubac, Gilli, Ben, Venet, Verdet, Alocco.


Ce fut une très belle soirée d’été, le 8 aout 1991. Chacun des artistes qui avaient participé à mon livre étaient à mes côtés.


Cette idée de l’Ecole de Nice, c’est Sacha qui l’avait inventée. Il nourrissait une passion pour ce qui était devenu sa ville. D’ailleurs je me souviens que lorsque nous nous sommes rencontrés sur le Cour Saleya, il m’a salué en me disant « Bienvenu dans « ta ville ».


On lui a reproché à plusieurs reprises d’être trop proche du pouvoir.


Sacha était aussi un homme d’action et c’est en grande partie grâce à lui que le Musée d’Art Moderne de Nice est né.


Sacha a été à l’origine de nombreuses initiatives à Nice, et si cette ville est devenue à partir des années 60, une authentique ville d’art parsemée d’œuvres comme autant de fleurs, c’est grâce à Sacha.


Je l’ai connu d’abord dans son atelier du vieux Nice puis dans son appartement tout près de ce même atelier, et enfin à Saint Roman sur la Colline du Bellet.


Ensuite cela a été l’aventure de son immense sculpture dans un grand hôtel de la Promenade des Anglais, l’Elysée Palace.


Il s’agissait de la création d’un personnage inscrit, entre deux immenses parois. Tel était l’un des thèmes fondamentaux de Sosno, l’écart et l’interstitiel.


Mais c’est « la Tête au Carré » qui fut le coup de génie de Sacha et qui restera à Nice comme le signe indélébile de sa présence. Idée profondément originale, dans un ensemble architectural très contestable. Elle est à la fois novatrice et esthétiquement réussie.


Une bibliothèque et des bureaux sont installés à l’intérieur d’une tête monumentale. La sculpture n’est plus une chose en elle-même. Elle peut être utile et contenir la vie.


Il s’agit d’une révolution esthétique très importante. Nous pourrions en quelque sorte habiter la beauté. Celle-ci n’est plus quelque chose d’extérieur à nous même, un plus. Nous vivons avec elle et en elle.


J’ai rencontré ensuite Sacha à New York dans les années 2000. Il logeait et travaillait à ce moment dans l’atelier prêté par Arman, de l’autre côté de Washington Street ou Bernar Venet y avait également son atelier. Sacha avait fait une très belle exposition chez Marisa del Rey, mais Nice l’avait depuis longtemps retenu dans ses charmes.


Il avait projeté la création d’un bel atelier sur la colline de Bellet. Ce fut sans doute sa réalisation la plus aboutie dans la lumière et dans les fleurs de sa ville.


L’œuvre de Sosno est hantée par le vide. Au centre de la plupart de ses sculptures figure un trou, une béance, et ce n’est pas par hasard qu’il a fait un livre avec Emmanuel Levinas sur ce thème.


D’origine lituanienne, tous deux placent le manque au cœur de leur œuvre, non pas le signe négatif d’un espace creux, mais celui d’un vide créateur, porteur de la question de l’absolu et de la transcendance.


C’est cela qui est l’essence même de l’œuvre de Sosno : un vide que le soleil et la lumière du midi font davantage ressortir. Il l’a nommé l’Oblitération.


Sacha avait l’accent niçois. Il était peut-être davantage niçois que ceux qui y étaient nés.


Il était beau et très séduisant, mais un des éléments les plus importants de sa gloire, c’est sa compagne Macha, charmante, adorable. On ne peut penser à Sacha sans que l’image de Macha ne vienne s’interposer. Et d’abord son sourire. Ils sont indissociables dans notre mémoire.


Sacha était très courageux. Il a affronté la maladie, comme il avait affronté la guerre, puis la mer, puis l’art.


C’était un combattant. Déjà malade il est allé en Chine et y a installé des sculptures monumentales.


J’ai vu Sacha pour la dernière fois à l’occasion du Festival du Livre de Nice au printemps dernier. Il a très gentiment acquis le livre que j’exposais et dédicaçais à cette occasion. C’est le dernier souvenir que j’ai de mon ami.


N’est-ce pas aussi celui de ce qui fut l’origine de notre lien, un livre.


Edouard Valdman

23 décembre 2013

A l'occasion de la mise en scène de la pièce de Jon Fosse avec Ludmila Mikaël au théâtre de L'Oeuvre à Paris sept-oct 2013 "Et nous ne serons jamais séparés"


Le vas-et-viens entre son désir de solitude, celui de l’autre, son désespoir, son goût de l’absolu, ses allers et retours incessants entre ces diverses dimensions de son être, son immense souffrance…

Une femme sur un divan crie sa difficulté d’être…

Dans la Bible, les hommes ont rarement des enfants avec leurs épouses. Sarah offre sa servante à Abraham. Ce sera l’origine d’un vaste malentendu historique.

Avant de rencontrer la sienne, Jacob subit les multiples dictats de Laban, son beau-père.

Les choses se passent rarement comme les hommes le désirent. Elles adviennent la plupart du temps ailleurs et autrement. L’homme n’est pas le maître. Quelqu’un manipule le jeu. L’inconscient ?  Dieu ?

C’est ce que semble dire l’auteur, Jon Fosse.

Il fallait pour dire ce texte, au bord de la psychanalyse, une comédienne plus que remarquable par son talent, elle-même hantée par les mêmes démons, au bord du délire.

Pari gagné.

Ludmila Mikaël y ajoute beaucoup d’humour. Sa personnalité donne à ces problèmes très complexes une crédibilité en même temps que chair et vie. Elle tend à prouver qu’à travers l’art tout est possible. Il suffit d’avoir assez de hauteur pour s’élever au-dessus du désespoir par l’humour qui en est la forme la plus achevée.

Etrangement, ce rire ne mène pas nulle part. Comme le dit si bien l’héroïne de la pièce « je suis très intelligente ».

Si elle ne sait plus où elle, si elle est égarée, c’est qu’elle attend dans la douleur et qu’en fin de compte cette attente postule la rencontre. Celle-ci n’est tellement angoissée que parce que l’héroïne sait qu’elle sera très importante.

Sera-ce la rencontre avec Dieu, avec l’amour, avec soi ce qui serait peut-être une seule et même chose ?

Cette pièce si désespérée au premier abord, si folle est en fait un acte de foi.

Cette femme est crucifiée par son désir même, par sa passion. Elle est au centre de son désir comme au centre de la croix, comme le Christ l’était lui-même.

Toute cette souffrance, toute cette tension et cet égarement postulent une réunification, une réconciliation de l’être autour d’une rencontre.

Sans doute avec l’autre en soi.

Edouard Valdman

18 septembre 2013