vendredi 20 janvier 2017

A propos du film tiré d'un livre de Joseph Joffo « Le Sac de billes »

J’ai connu Joseph Joffo au salon du livre de Nice il y a une vingtaine d’années. Il s’était dès alors mis hors la loi car il souhaitait échapper à la mainmise des libraires sur la recette des auteurs.

En effet ceux-ci en les accueillant sur leur stand, leur prenaient une marge de 35% sur leurs droits. Autant dire qu’il ne leur restait plus rien après celle de l’éditeur.

Joseph s’était donc installé en plein milieu du jardin Albert 1er, et avait fait l’objet comme nécessairement d’invectives du directeur du salon qui avait cependant fini par abandonner la partie, Joseph n’étant pas un seul instant intimidé par ses remontrances.

J’avais en même temps admiré sa capacité à séduire le public. Il était un fantastique vendeur. Il allait chercher le lecteur, il le hélait, et celui-ci venait à lui, attiré par son charme et sa vitalité.

Il vendait à l’époque son best-seller, « Le Sac de billes » publié en 1973 aux éditions Jean-Claude Lattès, grâce auquel il s’était fait connaitre du monde entier et d’autres livres moins connus, publiés par la suite.

En tout cas, Joseph m’avait fasciné et je crois que c’est là et à ce moment que nous sommes devenus des amis.

Je l’ai revu par la suite à Paris et nous avons poursuivi une authentique relation d’amitié.

L’aventure de son « Sac de billes » m’avait par ailleurs passionné car j’étais moi-même d’origine juive en même temps que niçoise. J’avais passé la guerre à Nice où mon père s’était caché. Il s’en était assez bien tiré grâce en particulier à la famille de ma mère catholique et à des amis niçois, les Veran, qui l’avaient abrité chez eux, sur le port.

J’avais moi-même écrit un livre sur ces années d’occupation, « La Blessure », et j’étais un peu jaloux de Joseph car il n’avait pas connu de véritable succès. Je n’avais pas réussi à décrocher un bon éditeur.

Bien plus, le hasard avait fait que j’avais approché nombre des personnes qui s’étaient occupé de la publication du livre de Joseph, en particulier l’attachée de presse.

Cela n’avait rien donné. Ce qui me faisait dire, d’ailleurs, que au-delà de notre volonté, quelque puissante qu’elle puisse être, les choses devaient se faire ou non.

En ce qui me concerne, elles ne s’étaient pas faites.

Cependant, depuis ce jour, Joseph s’était montré pour moi d’une grande générosité. Il a lu mon livre. Je crois qu’il l’a aimé. En tout cas, il n’a eu de cesse de m’aider en me présentant ses relations, ses amis proches.

Joseph s’est comporté à mon égard comme un très grand ami.

Nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises dans les salons littéraires à Nice ou ailleurs, au salon du livre de Paris et aussi à Loches, à l’occasion de la manifestation organisée par Gonzague Saint Bris « La forêt des livres ».

A chacune de ces rencontres, j’ai éprouvé l’extraordinaire talent de vendeur de Joseph. Il s’agissait de véritables performances. Il vendait beaucoup de livres et à Loches en particulier, il arrivait dès le matin à 9 heures et ne terminait qu’en fin d’après-midi après avoir épuisé son stock.

Je le dis d’autant plus volontiers, que je suis dépourvu de cette qualité et que je ne pense pas d’ailleurs qu’il incombe à l’auteur de vendre ses livres. Il s’agit d’un autre métier. Ce n’est pas le sien.

Je me souviens d’une légère dispute que nous avons eu un jour à l’occasion d’un salon. Joseph avait dit qu’un « bon » livre était un livre qui se vendait bien.

J’avais contesté son assertion.

L’histoire du « Sac de billes » constitue une aventure à elle seule. C’est celle de Joseph et de son frère Maurice durant la dernière guerre, en particulier à Nice où leur parents les avaient envoyé se réfugier, en zone dite « libre ».

C’est celle de ces deux enfants qui finissent à force de ruses d’avoir raison des allemands.

Leur mère, admirablement interprétée par Elsa Zilberstein, sera sauvée mais leur père sera arrêté et déporté (Patrick Bruel, excellent).

Celui-ci avait un salon de coiffure à Paris et après la guerre, les enfants le reprendront. Et c’est là qu’intervient un autre extraordinaire talent de Joseph, celui de conteur.

Il raconte cette histoire, son histoire et celle de son frère, celle du « Sac de billes » a un client du salon, Jean-Claude Lattès par ailleurs éditeur.

Celui-ci est intéressé. Il l’a fait réécrire par un écrivain professionnel Claude Klotz alias Patrick Cauvin, aujourd’hui disparu, qui comme l’a précisé Jean-Claude Lattès à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du film a apporté « sa petite musique ».

Jean-Claude Lattès en a fait un best-seller.

Comment fabrique-t-on un best-seller ? Difficile à dire. Si on connaissait la recette, beaucoup s’y attèleraient. En tout cas cela a marché. Des millions de livres ont été vendus dans le monde entier.

Jean-Claude Lattès a fait quelques autres « coups » d’édition et plusieurs fois en inventant totalement des histoires telles par exemple « Papillon » dont les aventures sont totalement imaginaires et qui n’a jamais vraiment existé.

L’histoire du « Sac de billes » par contre est authentique et les personnages sont bien vivants.

Ceux sont eux qui étaient présents le 16 janvier dernier, au cinéma le Gaumont avec leur famille, leurs enfants et petits-enfants et leur enthousiasme qui n’a jamais tari.

Joseph a 85 ans, Maurice 87 ans. Ils sont toujours aussi dynamiques, entreprenants et prêts à en découdre. Ils ont gardé le moral.

Cela ne m’étonnerait pas qu’ils jouent toujours aux billes.

En tout cas le film est un succès. Le metteur en scène, Christian Duguay, a totalement réussi son projet. Les gosses sont magnifiques et les autres acteurs excellents.

Je m’attendais à une redite. En fait, ce film m’a fait replonger au cœur de ma propre enfance et de ces années noires et comme à chaque fois que je reviens à elles, je m’étonne de la chance extraordinaire que j’ai pu avoir.

Car nous sommes des survivants. Nous sommes des chanceux.

A chaque fois aussi je m’explique le silence qui a suivi. Très peu ont parlé de ces événements. Mes parents eux-mêmes se sont tus. Sans doute ceux-ci étaient-ils trop douloureux.

C’est pourquoi « La Nuit » d’Elie Wiesel, « Si c’est un homme » de Primo Lévy, « Le Sac de billes » de Joseph Joffo sont des témoignages irremplaçables.

Cinquante ans après ils percent encore le silence.

Edouard VALDMAN,
Ecrivain
Dernier livre paru « Demain, l’Occident ! »