lundi 16 octobre 2023

« Israël-Palestine, vers une Fédération des peuples du Moyen Orient »

C’est à l’occasion de l’Affaire Dreyfus que Theodore Hertzl, journaliste autrichien, correspondant d’un journal allemand à Paris, ressent la nécessité de la création d’un état juif.

La dégradation du Capitaine Dreyfus sera sans aucun doute l’événement le plus important de sa vie.

« Mort aux Juifs » criait la foule alors que l’on dégradait l’innocent !

Que ce phénomène d’hystérie collective puisse se produire en France, le pays des Lumières, un siècle après la Déclaration des Droits de l’Homme, le convainc de ce que aucune assimilation n’est possible.

Le paradoxe cependant est que contrairement à ce que préconisaient des hommes tels que Bernard Lazare, grand défenseur de Dreyfus au côté de Péguy ou Magnes, Hertzl va emprunter pour l’édification de cet état les structures mêmes de celui qui a fait défaut, l’Etat-Nation européen.

Telle est sans doute l’origine de l’impasse dans laquelle se trouve la recherche de la paix au Moyen-Orient.

L’Etat-Nation européen dont l’exemple le plus achevé est l’état français, comporte comme fondement l’idéal Kantien des Lumières, celui de la Raison.

Il est lui-même fondé sur une pseudo-nature humaine dont Rousseau reprendra les termes dans le Contrat Social.

Dans « la condition de l’homme moderne », Hanna Arendt fait une critique radicale de Rousseau, des Lumières et de l’Etat-Nation.

Selon elle, la notion de souveraineté, chère à Rousseau, est essentiellement tyrannique. Malgré la proclamation de droits inaliénables et universels, elle réserve en fait la protection de ceux-ci aux seuls nationaux.

L’Etat-Nation s’est avérée incapable d’intégrer les flux migratoires qui ont suivi l’effondrement des grands empires tels l’empire austro-hongrois après la première guerre mondiale.

Il a été incapable d’endiguer Vichy.

Selon Hanna Arendt, il s’agit d’introduire une notion nouvelle fondée sur la pluralité humaine « l’homme avec ses semblables ».

Celle-ci débouche sur une structure politique différente, celle de la Fédération.

Celle-ci ne demande pas à l’individu de renoncer à son identité au profit d’une notion abstraite de l’homme. Elle intègre au contraire dans son authenticité, en tant que juif, chinois, italien ou autre.

Souveraineté et tyrannie sont une seule et même chose. Telle est la grande découverte des américains en matière politique.

Telle est la voie que doit suivre l’Europe.

Pour ce faire, elle doit s’élever au-delà des Etats-Nations qui la composent et se nommer plurielle, c’est-à-dire catholique, protestante, laïque, juive…

Ce n’est que lorsqu’elle aura assumé son identité pleine et entière, qu’elle pourra entrer dans une relation authentique avec les arabes.

Il faut qu’elle recrée de la Symbolique.

La repentance entreprise par Jean XXIII et poursuivie par Jean-Paul II a ressourcé l’Eglise catholique au tronc judaïque.

Elle a coupé le cordon ombilical qui séparait juifs, protestants et catholiques.

Elle constitue une des grandes révolutions spirituelles de notre temps.

La voie est désormais ouverte pour l’unité de l’Europe.

C’est dans un même mouvement que les peuples du Moyen-Orient pourront s’élever au-dessus des états qui les composent pour créer une Fédération.

La question posée au monde par le judaïsme excède l’état d’Israël. Elle excède toute réponse.

 

C’est pourquoi l’accueil de l’autre est indispensable pour éviter le risque de clôture aussi bien du côté du sionisme que du côté de l’islam.

 

Une Fédération des peuples du Moyen-Orient répondrait à cette exigence.

Cette Fédération devrait, comme le prévoyaient Theodore Hertzl et Martin Buber, constituer le prochain interlocuteur entre l’Occident et l’Asie.

Le peuple israélien et le peuple palestinien, tous deux victimes de l’Histoire, forgent sans aucun doute une expérience nouvelle pour les temps à venir, une expérience d’ordre prophétique.

 

Un peu d’histoire

Lorsque les Juifs rentrent sur leur terre, après 2000 ans d’errance, et après l’Holocauste, qui sonne le glas de toute assimilation, les  Nations Unies opèrent un partage de la Palestine et leur en attribuent une partie.

Il faut noter d’ailleurs que le terme de Palestine appartient au langage des Romains (les Philistins) pas à celui des Juifs. Pour ceux-ci, il y a seulement Israël.

En tout état de cause, ce sont les pays arabes qui après ce partage ont immédiatement déclaré la guerre à Israël, et c’est à cette occasion que les Palestiniens ont commencé à immigrer : « Partez ! »  leur a-t-on dit « et lorsque nous auront éliminé les Juifs, vous rentrerez chez vous ».

Ils sont demeurés dans des camps, aucun pays arabe n’acceptant de les accueillir. Bien plus, ils ont été surexploités et considérés comme des étrangers.

C’est dans ce contexte historique précis, et dans le cadre de la Guerre Froide que se crée l’O.L.P. qui se donne comme objectif la destruction d’Israël pour le remplacer par un Etat Palestinien laïc, dont on peut imaginer le sort qu’il réserverait aux Israéliens, en cas de victoire.

C’est ici qu’intervient l’obstacle décisif à la paix telle qu’elle est proposée depuis lors.

Sur ce point il faut noter  qu’une évolution très importante est intervenue du côté palestinien.

Cependant, il est envisageable que l’Etat israélien tel que conçu par le mouvement sioniste puisse être contesté dans sa structure même. Non pas le Retour d’Israël en soi, mais la configuration de l’Etat.

En effet, comme l’a très bien vu Hanna Arendt, l’Etat d’Israël, tel que l’a créé Theodore Herzl a pris la forme de l’Etat-Nation européen. Or c’est cet Etat-Nation qui précisément s’est avéré incapable d’intégrer les différences et en particulier le problème juif, en Europe.

C’est lui qui a fait défaut.

C’est la raison pour laquelle Hanna Arendt opte pour une constitution comme celle des Etats Unis qui comporte à sa base non plus l’idée de nation mais celle de pluralité humaine, « l’homme avec ses semblables ». La Constitution américaine en effet est fondée sur une conception des Droits de l’Homme issue de l’habeas corpus anglais, lui-même fondé sur la Bible,  et non de la philosophie des Lumières.

C’est sans doute également la raison pour laquelle l’Etat d’Israël aujourd’hui et les Palestiniens ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un mode de coexistence. Tous deux se situent dans l’ordre de l’Etat Nation. Les Palestiniens veulent construire un Etat, qui serait lui-même le reflet de l’Etat Nation israélien. Ils sont en miroir l’un par rapport à l’autre.

Il faut aussi constater à quel point le discours palestinien se calque sur celui d’Israël. Pour les palestiniens, 1948 devient la « catastrophe » à l’instar de la Shoa. Leur exil depuis cinquante ans s’assimile à l’exil d’Israël (pendant 2000 ans). Leur retour hypothétique se calque sur le Retour d’Israël et sa résurrection, ce qui peut signifier aussi que ces deux peuples ont une identité très proche.

Il conviendrait qu’une forme politique se constitue, qui inclue les différences et intègre la pluralité. Pour cela, il est indispensable qu’interviennent un tiers ou plusieurs états médiateurs et que soit élaborée une constitution qui les transcende.

Trois possibilités politiques se présentent pour qu’une paix puisse advenir : soit que l’Etat d’Israël intègre les arabes palestiniens, comme il l’a fait antérieurement avec les arabes israéliens, pour un million d’entre eux, avec les mêmes droits que les Israéliens. Apparemment, cette solution semble difficile à réaliser aujourd’hui. On pourrait imaginer un référendum sous l’égide des Nations Unies qui interrogerait les Palestiniens à propos de leur souhait, mais la haine et les pressions ne leur permettraient sans doute pas de faire un choix libre.

La deuxième solution, c’est que les deux Entités se séparent. C’est ce qu’on est  en train de tenter de réaliser. Ceci est en contradiction avec la nécessité pour ces Etats de collaborer entre eux pour des raisons d’ordre économique et spirituel.

La solution la plus raisonnable ne serait-elle pas celle d’une Fédération ? On pourrait imaginer celle des pays du Moyen Orient à l’intérieur de laquelle chaque peuple serait souverain. C’est ce que préconisait à l’origine Bernard Lazare et Magnes.

On pourrait envisager ultérieurement une Fédération qui aurait pour vocation la création des Etats Unis du Moyen Orient.

Jusqu’à présent, les Juifs, à travers l’histoire de l’Europe et aussi celle des pays arabes chez lesquels ils ont habité, se sont toujours vécus comme victimes en même temps que différents. Au-delà de cette différence, ils se sont considérés également, et en raison de la persécution même, comme uniques et élus. Or, l’Election, contrairement à ce qui est très souvent nommé, a été donnée au patriarche Jacob pour tout homme, pour l’Universel. Dans le combat que livre celui-ci  avec l’Ange, c'est-à-dire avec Dieu, et à sa suite chaque homme peut s’élire. Il ne s’agit pas en conséquence d’une singularité irréductible et exclusive mais seulement d’une différence.

Cela est si vrai que le judaïsme s’exprime par ailleurs à travers la diaspora. L’Etat d’Israël est un mode d’expression du judaïsme parmi d’autres.

C’est cette différence qui doit s’inscrire dans la constitution d’une Fédération, susceptible d’accueillir les autres singularités.

La question posée au monde par le judaïsme excède l’Etat d’Israël. Elle excède toute réponse.

C’est pourquoi l’accueil de l’autre est indispensable pour éviter le risque de clôture aussi bien du côté du sionisme que celui de l’Islam. 

Il faut qu’Israël ainsi que les Palestiniens suscitent en leur sein des hommes de paix.


Il s’agit de créer un espace de paix par la constitution d’une modalité politique qui intégrerait les deux états. Israël, la Palestine, seraient deux entités, chacune ancrée dans son histoire, accueillant l’autre grâce à un tiers espace symbolique. Les Nations Unies ne peuvent tenir ce rôle. Ce serait une ingérence dans les affaires d’Israël, aussi bien que dans celle des palestiniens. Elle viendrait de l’extérieur.

Il faut que des pays arabes, l’Egypte par exemple, le Liban, interviennent comme états tiers. Ce serait une grande révolution symbolique, une manière d’accueillir l’autre, de l’intégrer.

Le dialogue ne peut se produire qu’au-delà de la séparation médiatisée par d’autres états, et transcendée par une entité symbolique, une Constitution qui pose à sa base la pluralité humaine, « l’homme avec ses semblables ».

Cette Fédération devrait, comme le prévoyait Théodore Herzl et Martin  Buber, constituer le prochain interlocuteur entre l’Occident et l’Asie.

Le peuple israélien et le peuple palestinien tous deux victimes de l’Histoire forgent sans aucun doute une expérience nouvelle pour les temps à venir, une expérience d’ordre prophétique.

                       

Edouard VALDMAN

Edouard Valdman, écrivain, est ancien élève de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, ancien Secrétaire de la Conférence du Stage du Barreau de Paris. Il a donné de nombreuses conférences, notamment dans les universités américaines, NYU, Columbia, Princeton.

Derniers ouvrages parus : Les Juifs et l’argent : pour une métaphysique de l’argent (Éditions Galilée), Dieu n’est pas mort ; le malentendu des Lumières (Éditions L’Harmattan, 2004) ; France-Etats-Unis ; une nécessaire union.