vendredi 6 décembre 2019

A PROPOS DE « J’ACCUSE » DE ROMAN POLANSKI


Je ne sais si Roman Polanski a enfreint la loi en matière de relation avec les femmes. Une affaire aux Etats-Unis a fait beaucoup de bruit. Elle est très ancienne. La victime a retiré sa plainte. Un procureur s’accroche toujours au dossier. Il a envie sans doute de se faire de la publicité. Polanski est ainsi interdit d’entrer aux Etats-Unis. Il risquerait une arrestation. La liberté américaine s’arrête où commence la publicité.

En France, le même Polanski est accusé par une autre femme pour une agression sexuelle qui aurait eu lieu il y a plus de trente ans. Si celle-ci n’a pas déposé plainte plus tôt c’est que l’affaire n’était pas mure. Le film « J’accuse » aurait ranimé sa flamme.

En tout cas, le caractère hautement problématique de ces accusations n’empêche pas de mettre le réalisateur au pilori. Des manifestations de féministes ont lieu devant différents cinémas dans le but d’empêcher la diffusion du film.

Ce qui est affligeant et très inquiétant dans tout cela, c’est que la justice est mise à mal. Aujourd’hui n’importe qui, pour des motifs la plupart du temps fallacieux, peut mettre en cause n’importe quel citoyen.

C’est ce qui s’est passé dans le domaine politique avec François Fillon. Il n’est toujours pas jugé. C’est ce qui se passe avec Polanski, autrement. On n’a pas besoin de preuves, de jugements ou de condamnations. La suspicion suffit pour comparaitre devant les instances médiatiques, désormais les véritables juges. L’Etat ne réagit pas. Davantage, il utilise les moyens de la calomnie à des fins hautement partisanes.

Que Polanski, un réalisateur de génie (« Tess », « Le pianiste ») puisse être mis en cause par des pseudo-victimes, trente ans après les faits, sans aucun commencement de preuve, montre suffisamment à quel point notre démocratie est dans un état de décomposition avancée.

Bien plus, comment ne pas faire le lien entre « J’accuse » et ces affaires, c’est-à-dire entre l’éternel proscrit, le juif, et les accusations erronées, car c’est cela dont il s’agit. En embrassant le thème de « J’accuse », c’est-à-dire de l’affaire Dreyfus, Polanski embrasse en même temps celui du racisme.

Comme le disait Maurice Barres, l’écrivain le plus célèbre de ces temps, une des grandes consciences françaises « que Dreyfus soit coupable, je le connais de sa race ! ».

Que Polanski soit considéré coupable envers ces femmes, sans preuve aucune, « nous le connaissons de sa race ». La boucle est bouclée. N’est-ce pas cela que Polanski a voulu signifier à travers ce film ?

N’oublions pas que Zola a été condamné après son « J’accuse », qu’il a été obligé de quitter la France, que Dreyfus enfin a été gracié mais jamais acquitté.

L’Etat en France ne peut pas se tromper. Quoique l’on puisse en penser, le Roi est toujours là.

En fait, ce qu’il conviendrait de faire, c’est d’envoyer ce film admirable dans toutes les écoles de France et de l’y visionner, ce film qui dit exactement ce qui se passe depuis toujours : Ponce Pilate se lave éternellement les mains dans le sang du juste.

L’important pour la foule c’est de lyncher. Il y aura toujours un juif dans notre environnement, un autre, un noir, un émigré.

Cela ne se passera jamais à cause de nous mais à cause de l’autre en nous.

Les femmes qui accusent Polanski aujourd’hui sans preuve sont un des nouveaux visages du totalitarisme des temps modernes.

Etrange masque que celui-là. La beauté aurait désormais partie à l’horreur !

Edouard VALDMAN

dimanche 20 octobre 2019

A propos d'Eric ZEMMOUR


J’ai longtemps éprouvé de la sympathie pour Éric Zemmour. Contrairement à de nombreux intellectuels la plupart du temps compassés et prétentieux, sans distance par rapport à leur pensée, il m’est toujours apparu jovial, en train de rire et de s’amuser. Il n’a pas l’air de se prendre au sérieux.

L’émission de télévision à laquelle il participe avec son compère Naulleau et Anaïs Bouton l’animatrice qui a beaucoup de charme, ressemble davantage à une conversation de café qu’à un salon littéraire. Ils forment une équipe sympathique et pleine d’humour.

Ils sont parvenus à conquérir la plupart des intellectuels français, c’est-à-dire à se faire haïr d’eux ou à les rendre jaloux, en tout cas à les intéresser.

Cependant, sous des allures sympathiques et bon enfants, Zemmour communique une pensée incisive, réactionnaire qui peut facilement devenir anxiogène. Il ressent une véritable crainte devant la montée de l’Islam, une authentique peur d’un « grand remplacement » de civilisation. C’est son droit.

Les protestations fusent contre son discours, et réclament qu’on l’interdise. Il a d’ailleurs déjà été condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale.

Zemmour persiste et signe.

Pourtant, la liberté de parole est une des formes les plus essentielles que peut prendre la liberté humaine. Elle est un des piliers d’une société moderne et évoluée. Des milliers d’intellectuels sont morts pour la défendre et d’autres mourront encore pour elle car ce combat n’est jamais gagné.

C’est pourquoi, il ne faut en aucun cas empêcher le soldat Zemmour de parler. Il faut au contraire lui fournir tous les moyens pour qu’il puisse s’exprimer car l’expérience montre que tout ce qui est excessif disparait en fin de compte de sa belle mort.

Lorsqu’Éric Zemmour demande à une jeune femme française, venue des îles, de changer de prénom pour faire « davantage français » il commet une double faute.

D’abord celle de ne pas s’apercevoir, ou de faire semblant, que ce prénom d’Outre-Mer élargit la langue française. Loin de l’amoindrir ou de la déformer, il l’a rend plus chantante et en même temps plus universelle.

C’est sans doute ce que désiraient ceux qui sont partis à la conquête de ces territoires. Ils souhaitaient précisément agrandir la Nation française.

La deuxième faute que commet Eric Zemmour, plus grave encore, c’est de tenter de faire honte à cette jeune femme d’être ce qu’elle est.

Cette démarche pleine de mépris qui se donne un droit sur la vie des autres, c’est ça le fascisme.

Les immigrés doivent revendiquer leur condition. Ils sont les enfants vrais de ceux que nous avons conquis et c’est à ce titre qu’ils doivent être respectés.

Nous avons besoin d’eux, de leur apport original. C’est nous qui sommes allés les quérir à l’autre bout du monde.

Plus récemment, le 17 octobre 2019, Denis Olivennes est venu palabrer à la nouvelle émission d’Éric Zemmour sur TF1. Les condamnations se suivent, les émissions de télévision aussi.

Ce dernier a récidivé en le félicitant de ce que son père Armand Olivenstein a changé son nom en Olivennes. Vive la République !

Durant la dernière guerre, mon père a été obligé de modifier le sien. Il s’appelait Samuel Waldmann et il a été contraint d’en soustraire à la fois un « n », de remplacer le « w » par un « v » et de changer son prénom de Samuel en Albert.

Ce sont les nazis qui l’y ont contraint.

Il a fallu l’Holocauste pour que les juifs soient véritablement intégrés, après que la bête fut rassasiée de leur sang. Il semblerait à présent qu’ils ne souhaitent pas que l’intégration concerne d’autres peuples qu’eux-mêmes.

Eric Zemmour, un juif (je pense), se comporte comme un collabo en demandant à cette jeune fille de changer son nom et en se félicitant que Monsieur Olivenstein ait été contraint de modifier le sien.

En fait, Éric Zemmour endosse le rôle du traître.

Il ne défend plus la culture. Il la défigure.

On annonce BHL sur la chaîne pour la semaine prochaine. La boucle est bouclée. Le bon chic bon genre va définitivement cacher la perfidie.

On pensait encore il y a peu de temps que les juifs étaient préservés des intempéries du siècle.

Il n’en est rien.

Désormais, certains d’entre eux ont partie alliée avec la meute.

 Edouard VALDMAN


vendredi 4 octobre 2019

Chirac ou l'éloge de la trahison

Après avoir aidé à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing contre Jacques Chaban Delmas et son propre camp, Jacques Chirac se ravise et se rend compte qu’il a fait erreur, pas une erreur politique mais proprement humaine. Il est maltraité et méprisé par le nouveau Président, infatué de lui-même et peu reconnaissant.

Chirac apprend en même temps ce qu’est l’usage en politique, la trahison pour services rendus. « Il est des services si grands qu’on ne peut les récompenser que par l’ingratitude ».

Le Prince se doit de ne pas être reconnaissant. C’est le propre de ce dernier de trahir.

Chirac ne l’oubliera pas.

Dans l’affrontement qui suivra, il n’y aura pas d’enjeux vraiment politiques. Giscard d’Estaing fera face au choc pétrolier de 1970 avec compétence. Quant aux grandes lois sociétales telles celle à propos de l’avortement, le Président et son Premier ministre seront d’accord.

Il s’agira seulement d’un problème de personnalité et de caractère.

Chirac s’emploie à déstabiliser Valéry Giscard d’Estaing ce qu’il réussit à faire en s’alliant à son ennemi de classe, Mitterrand. Il lui vend son camp contre une aide pour une future Présidence.

Il l’espérait proche. Il lui faudra en fait attendre quatorze années de pouvoir mitterrandien.

Le coup de pouce de Mitterrand à Chirac contre Balladur en 1995 lui procurera finalement l’aide décisive.

Davantage, en dissolvant l’Assemblée nationale durant son second mandat, Chirac donnera pour la seconde fois le pouvoir à la gauche.

Tout cela n’est guère brillant. Une première victoire remportée contre son propre camp et une seconde avec l’aide de la gauche, effrayée par une éventuelle victoire de Jean-Marie le Pen.

C’est pourtant cet homme-là que la France pleure et honore aujourd’hui, cet homme qui sera par ailleurs condamné, après l'expiration de ses mandats, par la justice française à deux années d’emprisonnement avec sursis pour prise illégale d’intérêts, c’est-à-dire pour corruption, cet homme qui aura abandonné un des piliers de la Constitution gaullienne la Présidence de 7 ans, chiffre symbolique (Cet abandon constituera le début de l’effondrement de celle-ci), cet homme qui, par ailleurs aura refusé que figure dans la prochaine Constitution européenne les racines chrétiennes de l'Europe.

A son actif cependant, deux décisions importantes : le refus de suivre l’intervention des américains en Irak, et la dénonciation de la France pour avoir prêté la main aux allemands pendant la guerre à l’occasion de leur persécution contre les juifs, sans oublier l’attention portée au problème climatique.

Il n’en reste pas moins que l’on ressent devant ces cérémonies grandioses, des Invalides à l’Elysée, en passant par l’église Saint-Sulpice, un incontestable malaise.

Les français ont l’impression qu’on les presse, qu’on leur dit ce qu’ils ont à faire comme si le show allait combler le manque et faire oublier les graves lacunes du destin.

Il aura manqué une dimension essentielle à Jacques Chirac pour que celui-ci fût grand : l’éthique.

La bonne chair, les bons mots et le don de sympathie ne sont pas suffisants pour faire oublier la trahison et le reniement.

Il lui a manqué la dimension métaphysique proprement gaullienne, celle du sacrifice et celle de l’honneur.


Edouard VALDMAN

dimanche 8 septembre 2019

Pour William Chattaway, artiste peintre et sculpteur décédé à Waterloo le 25 juillet 2019

J’ai connu William Chattaway dans les années 70 par l’intermédiaire de mon ami Fabrice, le fils du peintre Jean Hélion.

Fabrice voulait me faire connaître cet artiste sculpteur ami de son père qui habitait alors rue Vercingétorix à Montparnasse.

"Bill" nous accueillit avec beaucoup de gentillesse.

Bill avait apparemment beaucoup de considération et de respect pour Jean. Celui-ci jouissait d’une réputation internationale et s'était retiré en France après une carrière américaine très féconde.

Fabrice était lui-même le fils de Pegeen, l’épouse de Jean, elle-même fille de Peguy Guggenheim. Elle s’était suicidée après sa rupture avec Jean. Celui-ci s’était remarié avec Jacqueline avec laquelle il vivait à présent, 4 rue Michelet à Paris et, la plupart du temps à Bigeonnette, dans un petit manoir près de Chartres.

C’était l’époque où je commençais à m’intéresser très sérieusement à la peinture. Fabrice a été sans doute pour moi un intercesseur privilégié.

Son père était un personnage étonnant, cultivé et très créateur. Il avait connu la célébrité en Amérique avant et après la guerre, pendant la période de l’abstraction.

Il avait évolué et sa peinture était devenue davantage figurative. Le marché américain n’avait pas voulu le suivre. C’était une des raisons pour lesquelles il était revenu en France.

En tout cas, Bill avait beaucoup d’estime pour lui, et même d’admiration.

Jean Helion avait fait carrière. Il se débrouillait assez bien dans ce monde extrêmement complexe de l’art où se mêlaient les intérêts intellectuels artistiques et matériels les plus contradictoires.

Bill ne possédait pas ce talent. Il semblait perdu dans ce monde. Il était très pur, d’une certaine manière innocent, avec une conception très élevée de l’art. Il le mettait au-dessus de tout.

Bill était anglais et s’était installé à Paris après un voyage qui l’avait séduit.

Il  était accompagné dans son aventure artistique par Deborah, son épouse, une femme douce et charmante. Je ne suis pas sûr qu’elle ait possédé les qualités d’agressivité suffisantes pour l’aider à faire carrière. Elle était comme lui une idéaliste et possédait un grand respect humain.

Il m’est arrivé d’évoquer auprès de Bill le « marché » de la peinture. Ce mot seul le faisait frémir. Il ne connaissait rien aux méandres de ce dernier.

Il avait eu contact à cette époque avec Claude Bernard, un marchand parisien. Celui-ci qui avait d’incontestables qualités de commerçant et d’esthète était par ailleurs « un tueur ». Il accompagnait quelque temps un artiste, lui constituait une certaine renommée puis, brusquement, le laissait tomber, ce qui était la plupart du temps pour un jeune artiste, catastrophique.

C’est ce qui s’était passé avec certains de mes amis, tels Queffurus, Barthélemi et Ipousteguy.
C’est ce qui s’était passé avec Bill. Claude Bernard avait rencontré son œuvre, l’avait appréciée, avait commencé à la prendre en charge puis l’avait brusquement abandonnée. Il prétendait que la raison en était que Bill aux Etats-Unis avait questionné une de ses clientes à propos des prix qu’il pratiquait.

Le seul artiste que Claude Bernard n’avait pas réussi à détruire c’était César. Il l’avait soutenu au début de sa carrière classique puis quand celui-ci s’était lancé dans les compressions, il ne l’avait plus suivi.

Cependant à cette époque César avait déjà une renommée, une carrière. Il s’était fait un nom.
Il avait été récupéré par Pierre Nahon.

Par ailleurs César était un battant. Il avait une dose de talent, d’intelligence et d’énergie exceptionnelle.

Bill plus tard avait déménagé de la rue Vercingétorix pour la rue du Commerce, dans un autre atelier. Je m’y suis rendu très souvent, je me souviens qu’il avait l’intention à ce moment de’ sculpter mon visage ; Cela ne s’est pas fait, je le regrette vivement.

Je suivais l’évolution de son travail pour lequel j’avais la plus haute estime. Il y avait dans celui-ci une dignité une hauteur et une fidélité que j’appréciais au plus haut point.

C’était une œuvre austère, difficile dans le monde moderne, la plupart du temps superficiel.
Elle était très exigeante. Elle portait en elle une incontestable gravité.

De temps en temps, Bill m’invitait à des vernissages dans des galeries qui prétendaient montrer son œuvre. Les rapports avec celles-ci était la plupart du temps difficiles. Il devait être trop vrai.

On lui reprochait d’être trop proche de Giacometti mais on reprochait en même temps à César d’être trop proche de Germaine Richier.

Il avait réalisé une très belle sculpture de Georges Bernanos, qui se trouve désormais au carrefour de Port Royal tout en haut du jardin du Luxembourg.

Il m’avait conté les différentes péripéties qui avaient jalonné la réalisation de cette œuvre. Cela avait été pour lui très éprouvant.

Comme beaucoup d’artistes authentiques, il avait un rapport difficile avec le réel.

Bill avait été ensuite nommé membre de l’Institut et cela l’avait sans doute rendu heureux. Mais c’était un solitaire et il ne suivait pas toujours les séances de celui-ci, au moins quand elles le détournaient de son travail.

Pour des raisons financières, il avait quitté la rue du Commerce pour un atelie à Champigny sur Marne.

Cela n’avait pas été très judicieux car il s’était éloigné de Paris. J’allais lui rendre visite de temps en temps et nous allions nous promener au bord de la Marne.

Bill avait un fils Tom qui était entré à Polytechnique, s’était marié et avait eu plusieurs enfants.

C’est chez Tom, au sein de sa& famille, que Bill s’était retiré après la mort de Deborah.
La solitude à Champigny l’avait alors très fortement éprouvé.

Il avait fini par rencontrer deux galeries parisiennes, toutes deux rue de Seine :  Bob Valois qui montrait ses œuvres de temps en temps, ainsi que Olivier Nouvelet.

En tout cas, Bill était présent dans les dernières Fiac chez Valois.

Bill ne comprenait rien au monde de la marchandise. C’était un artiste pur, un grand artiste sans doute méconnu.

En tout cas, il possédait au plus haut point une vertu qu’appréciait le philosophe Alain « sans la fidélité, l’intelligence est une fille ».

Bill, comme Giacometti, mais autrement a sculpté l’homme décharné de notre temps, l’homme déstructuré, l’homme réduit dà sa plus simple expression.

Bill n’a jamais eu l’intention de faire des affaires ou que son art lui rapportât.

Il sculptait puis il claquait la porte.

Edouard VALDMAN

mardi 21 mai 2019

Quelles menaces sur l'Europe ?

Au tournant de chaque siècle se reproduit le même déséquilibre au centre de la civilisation occidentale, entre l’espace du tragique dont Nietzsche est l’héritier spirituel au sein de notre culture, et la prophétie représentée aujourd’hui de manière perverse par la mondialisation et le marché mondial.

Il s’agit en fait d’une lutte immémoriale entre l’espace culturel grec, notre origine, et la prophétie juive notre autre source.

Le problème est que l’affrontement entre ces différentes catégories ne se passe jamais franchement, mais de manière voilée.

Aujourd’hui, la prophétie a pris le visage de la mondialisation. Or celle-ci est loin d’avoir cette configuration. Elle est au contraire une tension vers une réconciliation universelle face à un espace souvent héroïque mais clos. Elle se dissimule la plupart du temps derrière d’autres voies plus subtiles et plus tempérées.

L’espace tragique fait de même. A l’occasion du dernier conflit mondial, beaucoup de beaux esprits ont vu dans le phénomène Hitler le retour des anciens Dieux.

La vérité, c’est que l’équilibre entre ces deux dimensions est difficile à tenir. Il est remis en cause à nouveau aujourd’hui et l’Europe se recroqueville sur elle-même face à la mondialisation. Elle ne doit pas se tromper de combat. S’il lui convient face à celle-ci de conserver ses valeurs immémoriales, elle ne doit pas se fermer pour autant au progrès et à ses possibilités.

Le populisme est devenu la nouvelle menace. Cependant l’Europe, comporte désormais un nombre important de gardes fous qu’elle ne connaissait pas à l’occasion du dernier conflit mondial.

La présence des Etats-Unis, celle d’Israël constituent des repères solides.

Il n’en reste pas moins que la vigilance est nécessaire et que l’équilibre est toujours précaire. C’est celui-ci qu’il est nécessaire de sauvegarder.

Ce qui m’a toujours paru étonnant et dans une certaine mesure scandaleux, dans les débats à propos de l’Europe, c’est l’absence du discours proprement intellectuel. Quel homme ou quelle femme politique, a jamais évoqué Nietzsche, Voltaire, Goethe, Shakespeare, Mozart pour la fonder, leur dialogue au-delà du temps ?

Or s’il est une nécessité pour celle-ci, c’est bien l’union des cultures : c’est elle qui constitue son fondement authentique.

L’Europe est d’abord représentée par la Grèce, c’est-à-dire par la beauté, l’art et la science, puis par Rome, son sens de l’Etat et du Droit, enfin par la chrétienté qui lui distribue le signe de l’amour et la dimension messianique.

Face au marché américain, au communisme chinois et à l’empire russe renaissant, elle se veut d’abord le lieu de l’harmonie, de la mesure et de la démocratie. Ce que nous devons avant tout préserver, c’est le sens de l’Homme. C’est nous qui l’avons inventé.

On a d’abord voulu jeter les bases économiques. Elles sont nécessaires. Elles ne sont pas suffisantes. On le voit bien aujourd’hui alors que l’Europe marque le pas, bien que celles-ci, aient été établies et développées.

Si on a hésité à évoquer ces bases intellectuelles et spirituelles, c’est sans doute parce qu’elles sont les plus difficiles à préciser, qu’on a tenté de les éluder en envisageant les choses d’un point de vue matérialiste, en pensant que les infrastructures engendreraient les superstructures : discours fallacieux et dépassé.

La vérité est que l’Europe englobe des pays de cultures différentes et d’abord de religions différentes. La Grande-Bretagne, l’Allemagne sont des pays protestants. L’Italie, l’Espagne, sont des pays catholiques, la France laïque.

Immense fossé, car sous couvert de ces différentes religions, ce sont les régimes économiques qui diffèrent. Les premiers sont libéraux, davantage capitalistes, les autres, sociaux-démocrates davantage étatiques.

Contrairement au souhait d’un ancien Président de la République Française, si l’on veut construire l’Europe, il ne s’agit pas de passer sous silence ses origines chrétiennes mais de nommer au contraire l’ensemble de ses sources spirituelles. L’Europe doit se dire plurielle, c’est-à-dire catholique, protestante, laïque, juive.

C’est le seul moyen pour elle de conserver son identité.

Or le problème, c’est que l’Etat Nation, au sens européen du terme, tel qu’il s’est développé à partir de la Révolution française, ne permet pas d’intégrer les différences. C’est parce qu’il a été incapable  de le faire que se sont produits les derniers cataclysmes, les conflits mondiaux.

Les structures de la France sont à la fois catholiques et révolutionnaires. Il n’y a pas de place pour la différence d’autant plus que la Révolution à travers Rousseau et malgré son vocable nouveau, a reconduit les hiérarchies de la Monarchie et de l’Eglise, celles du tout Etat.

Si l’Europe veut se constituer, elle doit s’abstraire des structures de l’Etat Nation pour entrer dans la dimension de la Fédération ou de la Confédération tels les USA. C’est d’ailleurs le même mouvement que devraient entreprendre les pays du Moyen-Orient s’ils veulent jeter les fondements d’une paix authentique.

Il ne faut pas oublier par ailleurs que l’Europe porte un immense fardeau spirituel qui est rarement évoqué : l’Holocauste.

Sans vouloir entrer plus avant dans ses causes profondes, politique désastreuse des réparations de la France vis-à-vis de l’Allemagne après la première guerre mondiale, menace communiste, crise de 29, etc, ce qui est directement en cause dans cette Catastrophe, c’est précisément la structure de l’Etat Nation.

Celui-ci malgré la Réforme protestante en Allemagne, qui était un pas en avant dans l’aventure de la liberté, s’est avéré  incapable d’intégrer les différences. Seule la pluralité humaine telle qu’évoquée par Hanna Arendt peut le réaliser.

Il convient de créer une Fédération ou une Confédération qui pose à sa base ce principe : l’homme avec ses semblables.

Comme l’a encore souligné Hanna Arendt, la grande invention des américains dans le domaine politique, c’est le fait d’avoir reconnu que souveraineté et tyrannie ne faisaient qu’un. Sa critique de la philosophie des Lumières et de l’indétermination de la notion de Peuple qui nécessite l’appartenance à  un territoire, vise directement la vulnérabilité de celui-ci.

Si l’Europe s’avérait incapable de s’élever au-delà des Etats nations qui la composent, sans doute faudrait-il s’attendre au retour des extrémismes.
Seule cette constitution pourrait donner à la Shoah une signification historique transcendante. Par le mouvement même de la création de ces structures nouvelles, l’Europe dépasserait la Catastrophe.



En 2003, est votée en France une loi essentielle à la fois en ce qu’elle institue l’appel des arrêts de la Cour d’assises et introduit la présomption d’innocence, née elle-même en Grande Bretagne au 17eme siècle et qui est un pilier du droit anglo saxon.

C’est ainsi que le droit anglais vient apporter à la loi française qui se situe toujours à l’intérieur d’une procédure inquisitoriale, un élément qui bouleverse sa configuration générale.

C’est ici que l’on voit à quel point l’Europe peut d’une nation à l’autre permettre l’échange d’acquis fondamentaux.

La France de tradition catholique, puis révolutionnaire, est toujours victime de la culpabilité. La situation lamentable de ses prisons est régulièrement pointée du doigt par la Cour européenne de Justice.

L’inquisition perdure au-delà du principe des droits de l’homme. On pourrait dire que ce principe l’a encore renforcée.

Ce n’est que dans le cadre de l’Europe qu’une véritable évolution pourra intervenir.
Seul un droit européen permettra de s’élever au-delà des lois nationales, en constituer une synthèse, et les dépasser dans l’intérêt de la liberté.



Jusqu’à ce jour le livre a été notre emblème et l’écrivain le représentant de l’élite. Chaque livre, chaque auteur avait référence à la Bible, au Coran ou à l’Evangile. Le livre ne se suffisait pas à lui-même mais avait un lien à une culture, en relation elle-même avec le Sacré.

C’est à l’intérieur de cette mémoire que les auteurs se sont situés jusqu’à ce jour.
Aujourd’hui nous assistons à une évolution très périlleuse. Le livre semble s’en être abstrait, pour vivre sa vie propre, au-delà de toute référence au Sacré. Il se vend au kilo sur tous les marchés du monde.

Il s’agit d’un grand péril pour la civilisation. Celle-ci en effet, a référence à des sources spirituelles. Ce sont celles-ci qui donnent vie au livre. Si l’auteur ne croit pas qu’il fait appel à des forces transcendantes, il n’y a pas de Livre.

Dans toute démarche artistique il y a appel vers l’autre, vers le miracle de la rencontre. Toute écriture est cri vers l’infini. Ecrire, c’est déjà fonder un au-delà de l’homme. Actuellement, tout ce qui appelle vers cette transcendance gène. Cela risque de troubler les lois du marché.

Si l’on veut sauvegarder la civilisation, il faut permettre au livre de reprendre sa place traditionnelle dans notre culture. Pour cela il faut revenir à nos sources spirituelles.

Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est la profusion de la marchandise qui a la prétention d’intégrer les œuvres d’art ? Paradoxalement l’Islam tant décrié peut sauvegarder certaines valeurs primordiales, ainsi que le Judaïsme qui, à travers le Retour d’Israël redonne vie à la transcendance.

Le problème climatique lui-même n’est que le reflet d’un mal plus profond. Il révèle la crise de la pensée occidentale qui a rompu avec le Sacré et tenté de faire de l’Homme le maître de la création.

On pourrait dire que la nature se venge. Celle-ci en effet doit être respectée. Ce respect n’existe que dans une relation à une plus haute spiritualité.

A partir du moment où la nature est considérée comme un objet de pure exploitation et de rendement, en vertu d’une pensée matérialiste, il n’y a pas de raison qu’elle ne disparaisse.

Si l’homme veut à nouveau ré-enchanter la terre, il doit reprendre contact avec ses sources spirituelles et remettre l’Esprit à sa vraie place. Il faut renverser la pyramide.

Ce ne sont ni l’économie, ni l’écologie qui fondent l’homme. Ce ne sont pas ses seules relations sociales. Ce qui le fonde, c’est l’Esprit.

Edouard VALDMAN