J’ai connu Joseph Joffo au salon
du livre de Nice il y a une vingtaine d’années. Il s’était dès alors mis hors
la loi car il souhaitait échapper à la mainmise des libraires sur la recette
des auteurs.
En effet ceux-ci en les
accueillant sur leur stand, leur prenaient une marge de 35% sur leurs droits.
Autant dire qu’il ne leur restait plus rien après celle de l’éditeur.
Joseph s’était donc installé en
plein milieu du jardin Albert 1er, et avait fait l’objet comme nécessairement
d’invectives du directeur du salon qui avait cependant fini par abandonner la partie,
Joseph n’étant pas un seul instant intimidé par ses remontrances.
J’avais en même temps admiré sa
capacité à séduire le public. Il était un fantastique vendeur. Il allait
chercher le lecteur, il le hélait, et celui-ci venait à lui, attiré par son
charme et sa vitalité.
Il vendait à l’époque son best-seller,
« Le Sac de billes » publié
en 1973 aux éditions Jean-Claude Lattès, grâce auquel il s’était fait connaitre
du monde entier et d’autres livres moins connus, publiés par la suite.
En tout cas, Joseph m’avait fasciné
et je crois que c’est là et à ce moment que nous sommes devenus des amis.
Je l’ai revu par la suite à Paris
et nous avons poursuivi une authentique relation d’amitié.
L’aventure de son « Sac de billes » m’avait par
ailleurs passionné car j’étais moi-même d’origine juive en même temps que
niçoise. J’avais passé la guerre à Nice où mon père s’était caché. Il s’en
était assez bien tiré grâce en particulier à la famille de ma mère catholique
et à des amis niçois, les Veran, qui l’avaient abrité chez eux, sur le port.
J’avais moi-même écrit un livre
sur ces années d’occupation, « La
Blessure », et j’étais un peu jaloux de Joseph car il n’avait pas
connu de véritable succès. Je n’avais pas réussi à décrocher un bon éditeur.
Bien plus, le hasard avait fait
que j’avais approché nombre des personnes qui s’étaient occupé de la
publication du livre de Joseph, en particulier l’attachée de presse.
Cela n’avait rien donné. Ce qui
me faisait dire, d’ailleurs, que au-delà de notre volonté, quelque puissante
qu’elle puisse être, les choses devaient se faire ou non.
En ce qui me concerne, elles ne
s’étaient pas faites.
Cependant, depuis ce jour, Joseph
s’était montré pour moi d’une grande générosité. Il a lu mon livre. Je crois
qu’il l’a aimé. En tout cas, il n’a eu de cesse de m’aider en me présentant ses
relations, ses amis proches.
Joseph s’est comporté à mon égard
comme un très grand ami.
Nous nous sommes retrouvés à
plusieurs reprises dans les salons littéraires à Nice ou ailleurs, au salon du
livre de Paris et aussi à Loches, à l’occasion de la manifestation organisée
par Gonzague Saint Bris « La forêt
des livres ».
A chacune de ces rencontres, j’ai
éprouvé l’extraordinaire talent de vendeur de Joseph. Il s’agissait de
véritables performances. Il vendait beaucoup de livres et à Loches en particulier,
il arrivait dès le matin à 9 heures et ne terminait qu’en fin d’après-midi
après avoir épuisé son stock.
Je le dis d’autant plus
volontiers, que je suis dépourvu de cette qualité et que je ne pense pas
d’ailleurs qu’il incombe à l’auteur de vendre ses livres. Il s’agit d’un autre
métier. Ce n’est pas le sien.
Je me souviens d’une légère
dispute que nous avons eu un jour à l’occasion d’un salon. Joseph avait dit
qu’un « bon » livre était un livre qui se vendait bien.
J’avais contesté son assertion.
L’histoire du « Sac de billes » constitue une
aventure à elle seule. C’est celle de Joseph et de son frère Maurice durant la
dernière guerre, en particulier à Nice où leur parents les avaient envoyé se
réfugier, en zone dite « libre ».
C’est celle de ces deux enfants
qui finissent à force de ruses d’avoir raison des allemands.
Leur mère, admirablement
interprétée par Elsa Zilberstein, sera sauvée mais leur père sera arrêté et
déporté (Patrick Bruel, excellent).
Celui-ci avait un salon de
coiffure à Paris et après la guerre, les enfants le reprendront. Et c’est là
qu’intervient un autre extraordinaire talent de Joseph, celui de conteur.
Il raconte cette histoire, son
histoire et celle de son frère, celle du « Sac de billes » a un client du salon, Jean-Claude Lattès par
ailleurs éditeur.
Celui-ci est intéressé. Il l’a
fait réécrire par un écrivain professionnel Claude Klotz alias Patrick Cauvin,
aujourd’hui disparu, qui comme l’a précisé Jean-Claude Lattès à l’occasion de
la cérémonie d’ouverture du film a apporté « sa petite musique ».
Jean-Claude Lattès en a fait un
best-seller.
Comment fabrique-t-on un
best-seller ? Difficile à dire. Si on connaissait la recette, beaucoup s’y
attèleraient. En tout cas cela a marché. Des millions de livres ont été vendus
dans le monde entier.
Jean-Claude Lattès a fait
quelques autres « coups » d’édition et plusieurs fois en inventant
totalement des histoires telles par exemple « Papillon » dont les aventures sont totalement imaginaires et
qui n’a jamais vraiment existé.
L’histoire du « Sac de billes » par contre est
authentique et les personnages sont bien vivants.
Ceux sont eux qui étaient présents
le 16 janvier dernier, au cinéma le Gaumont avec leur famille, leurs enfants et
petits-enfants et leur enthousiasme qui n’a jamais tari.
Joseph a 85 ans, Maurice 87 ans.
Ils sont toujours aussi dynamiques, entreprenants et prêts à en découdre. Ils
ont gardé le moral.
Cela ne m’étonnerait pas qu’ils
jouent toujours aux billes.
En tout cas le film est un succès.
Le metteur en scène, Christian Duguay, a totalement réussi son projet. Les
gosses sont magnifiques et les autres acteurs excellents.
Je m’attendais à une redite. En
fait, ce film m’a fait replonger au cœur de ma propre enfance et de ces années
noires et comme à chaque fois que je reviens à elles, je m’étonne de la chance
extraordinaire que j’ai pu avoir.
Car nous sommes des survivants.
Nous sommes des chanceux.
A chaque fois aussi je m’explique
le silence qui a suivi. Très peu ont parlé de ces événements. Mes parents
eux-mêmes se sont tus. Sans doute ceux-ci étaient-ils trop douloureux.
C’est pourquoi « La Nuit » d’Elie Wiesel, « Si c’est un homme » de Primo Lévy,
« Le Sac de billes » de
Joseph Joffo sont des témoignages irremplaçables.
Cinquante ans après ils percent
encore le silence.
Edouard VALDMAN,
Ecrivain
Dernier livre paru « Demain,
l’Occident ! »