Dans la mouvance du mouvement de Mai, et compte tenu de mon intérêt passionné pour l'art, j'allai à la rencontre d'artistes peintres qui remettaient en cause leur pratique au sein de notre société marchande. Ils se réunissaient chez l'un d'entre eux, Rédélé, 7 rue Mazarine, mi-intellectuel mi-artiste, en tout cas totalement disponible, et qui mettait ses locaux à la disposition du FAP.
C'est chez lui que je fis la connaissance de Le Parc, Ipousteguy, Cane, Fromanger, Buren, artistes qui avaient déjà une carrière, mais adhéraient à cette contestation. Certains avaient une position très radicale, refusant même les expositions dans des grandes galeries, pour ne pas pactiser avec le capitalisme.
Une table ronde avait eu lieu sur ces sujets, à l'Art Vivant, journal que dirigeait Jean Clair. J'y participai comme représentant de ces artistes, dont j'étais devenu par ailleurs l'avocat.
Les prises de positions étaient contradictoires, souvent confuses, mais elles avaient le mérite de poser le problème de la place de l'artiste dans notre société.
Sartre venait à ces réunions et parlait de sa voix monocorde, contre le pouvoir capitaliste. Celui-ci allait trouver son expression la plus aboutie, aux yeux des artistes du FAP, dans ce que l'on allait appeler 1'« Expo Pompidou ».
Le Président, en effet, projetait pour l'année 1972, une grande exposition d'art contemporain, « 12 Ans d'Art en France ». Les artistes du Front des Arts Plastiques y virent immédiatement et y dénoncèrent la vitrine de la bourgeoisie. À ce titre, beaucoup refusèrent d'y participer, tels Le Parc, Ipoustoguy, Fromanger, Cane, Siné.
Le vernissage de l'exposition, au Grand Palais, donna lieu à une manifestation culturelle tout à fait étonnante. Les artistes invités, mais qui n'étaient pas en accord, décrochèrent leurs toiles, sous le regard du public et des CRS interloqués.
Deleuze était le penseur du FAP.
Un grand procès contre l'État français en fut le prolongement et la conclusion. Je me constituai dans l'intérêt de quatre-vingts artistes plasticiens, peintres et sculpteurs, qui avaient été invités à l'exposition, avaient refusé d'y participer, et dont les œuvres cependant figuraient dans le catalogue.
Notre thèse soutenait que la représentation photographique de leurs œuvres dans celui-ci équivalait à leur présence dans l'exposition. Nous nous heurtâmes à l'Administration, qui au-delà des principes de la démocratie, issus de la Révolution, demeure héritière de Louis XIV et de Napoléon. Nous fûmes déboutés. Ainsi l'État français inclua-t-il dans cette exposition, sans leur demander leur avis, ces artistes.
Il fut certes facile de rétorquer à ceux-ci, que tout artiste eût été honoré de figurer dans cette grande vitrine de l'art d'avant-garde, et qu'ils cherchaient sans doute, à travers leurs prises de positions radicales, et leur refus, de se faire autrement de la publicité.
Fromanger, le plus politique de ces artistes et le plus adroit, qui, avec Deleuze, avait été l'âme de cette révolution culturelle, avait antérieurement exposé à la Galerie Maeght. Il exposait à présent chez Jeanne Bucher, une galerie importante de la rue de Seine, avec un catalogue préfacé par Michel Foucault. De retour de Chine, il montrait des peintures représentant des scènes de la vie chinoise.
C'était le temps et la mode des « Maos ».
Louis Cane, de son côté, un autre des penseurs du monde des arts plastiques, le créateur avec Marc Devade du Mouvement Support-Surface, qui élaborait une théorie « matérialiste » de la peinture, participait lui-même aux Cahiers Théoriques de Tel Quel, et exposait également.
Ce qu'on appelait la « Figuration Narrative » était une prise en compte de la société, son reflet. Fromanger, Monory, Rancillac, photographiaient les objets « froidement », et, sur ces photos, qui étaient censées reproduire la réalité dans ce qu'elle avait de plus dur et de plus aliénant, ils posaient simplement des couleurs. Leur démarche était très proche de l'hyperréalisme, mouvement américain. Leurs ambitions étaient matérialistes, réalistes et politiques.
La Gauche eût pu percevoir le souffle du mouvement de Mai, se laisser féconder par sa flamme, revenir à ses sources prophétiques. Elle n'en recueillit que sa dimension petite-bourgeoise.
Mai 68 avait été un mouvement proprement « rimbaldien », poétique, de fusion entre toutes les classes sociales, un grand acte d'amour, replaçant au centre de la société le désir et la beauté. Nécessairement, la Loi devait ultérieurement reprendre ses droits.
La signification de Mai se pose comme Mystère. J'y vis en tout cas le retour du Saint, au-delà du capitalisme et du marxisme.
La gauche en donna une version sans lyrisme authentique, sans âme, dénuée de grandeur. Maurice Clavel avait bien discerné cela, qui se disait un « gaulliste métaphysique ». Je partageais ses vues.
Edouard VALDMAN
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