Robert
Badinter, avocat, ancien ministre de la justice, ancien Président du Conseil
Constitutionnel, sénateur, est celui grâce auquel la peine de mort a été
abolie. Cette abolition, personne ne viendrait à la remettre en cause ou
seulement la questionner. Il s’agit là d’un absolu, de quelque chose
d’intouchable qu’il a préconisé et qu’il a fait voter.
Or,
rien n’est plus contestable. En effet, ce qui était véritablement en question
quand cette mesure a été votée, c’était le statut de la Cour d’Assises.
Celle-ci en effet, constituait le prolongement du Tribunal révolutionnaire créé
en 1793 par la Convention Nationale. Ce Tribunal jugeait sans appel. Il était infaillible.
C’est lui qui a condamné le Roi et la Reine à la peine de mort. Le peuple était
censé ne pouvoir se tromper.
Cette
infaillibilité de la Cour d’Assises avait deux siècles lorsque l’abolition fut
votée. Personne jamais n’aurait songé à y porter remède. On aurait eu
l’impression de toucher à quelque chose de sacré.
Pendant
deux siècles, la liberté, selon les Français, a été suspendue aux décisions de
cette Cour. Le vote, instaurant un deuxième degré de juridiction à la Cour
d’Assises, l’appel de ses arrêts, est intervenu sous le gouvernement de Lionel
Jospin en 2003, en même temps que celui à propos de la présomption d’innocence
et ce, ultérieurement à l’abolition de la peine de mort.
Tel
était le véritable enjeu. D’innombrables têtes sont tombées. Si l’appel eut
existé, sans doute eussent-elles pu être sauvées.
Cependant,
le vrai problème, c’est que celle-ci présume une société désacralisée, une
société qui, faute de certitude et de foi, ne s’autorise plus à condamner à la
peine capitale.
Camus
et Koestler l’avaient bien vu dans un livre qui a fait date « Réflexions sur la
peine capitale ». Comment pourrait-on prononcer, disaient-ils, une décision
condamnant à la peine capitale dans une société qui a rompu toute relation au
sacré ?
En
ce sens, Robert Badinter a été cohérent avec lui-même, à un petit détail près
cependant. Il s’est toujours revendiqué comme « juif » et a signé des tribunes
dans le journal le Monde, à ce titre.
Or,
être juif précisément, c’est entretenir une relation avec l’espace du Saint,
avec la question de l’absolu, avec celle de Dieu.
Hors,
de cette relation, il n’y a pas de judaïsme.
Sans
doute Robert Badinter appartient-il à cette catégorie dite « des juifs
laïques ». Ceux-ci ont fait alliance une fois pour toutes avec la
République, avec la gauche, avec les Lumières et ceci malgré l’affaire Dreyfus,
malgré Vichy, malgré l’Holocauste.
En
fait, la campagne en faveur de l’abolition de la peine de mort était
démagogique mais porteuse pour la gauche. Mitterrand d’ailleurs à l’origine ne
lui était pas favorable, pas plus que l’ensemble des français.
Elle
est surtout critiquable dans le mépris avec lequel elle traite les criminels
eux-mêmes.
En
effet la mort est le seul châtiment à la hauteur de leurs crimes. On peut imaginer
un criminel s’investissant complètement dans son acte, allant au bout de
lui-même, au bout de sa passion.
Le
crime peut être un choix par rapport à une situation donnée. Il peut être une
vengeance que l’on souhaite assouvir, une passion au bout de laquelle on
souhaite aller. La société n’a pas le droit de la voler au criminel. Il peut
s’agir pour lui d’un acte de liberté.
Lui
retirer la possibilité de ce châtiment suprême corollaire de son acte, est rabaissé
celui-ci.
C’est
donc à lui qu’il reviendrait de choisir. Seule la mort est à la hauteur de son
acte. Encore faut-il qu’il ait le courage de revendiquer cette peine. C’est ce
qui s’est passé avec Buffet et Bontemps, les derniers condamnés à mort.
L’abolition
résulte d’un parti pris de gauche qui semble exprimer un souci humanitaire et
qui substitue à une condamnation à mort une peine d’enfermement à vie. C’est ce
qui explique le nombre considérable de suicides, dans les prisons françaises.
Les
condamnés à des peines de trente ans de prison ou de la prison à vie y
trouvent-ils leur compte ? Si on leur posait la question, il est possible
qu’ils choisissent la peine de mort.
Par
ailleurs, ces années de prison ont un coût. Nous entretenons des criminels et
autres terroristes qui eux, n’ont que mépris pour la vie humaine.
L’abolition
de la peine de mort n’est pas un progrès vers une humanité plus compatissante.
Elle est une crainte devant le crime et surtout une incapacité à le penser.
Elle est une défaite devant le caractère sacrée de la vie humaine.
Bien
plus, la condition des prisons françaises est depuis toujours un authentique
scandale. Robert Badinter, lorsqu’il était ministre, n’a pas réussi à y
remédier. La France est régulièrement condamnée par la Commission européenne
des Droits de l’homme.
Ce
mépris des français pour leurs prisons révèle une mentalité intolérante et la Révolution
n’a fait qu’accroitre le malaise. Nous vivons toujours sur l’Aveu, cher à
l’inquisition, sur la culpabilité, et ceci demeure au-delà des pétitions de
principe.
La
loi sur la présomption d’innocence, essentielle, est intervenue récemment pour
de mauvaises raisons, d’ailleurs. Il s’agissait de venir en aide aux hommes
politiques mis en examen.
En
tous cas, cette présomption établit une procédure fondamentale du droit
anglo-saxon, installée en Grande Bretagne au 16ème siècle, l’Habeas Corpus, qui
est le véritable fondement de la démocratie anglaise et de la liberté.
N’en
déplaise à la gauche française et même à la droite, les Anglais sont en avance
sur nous en ce qui concerne celle-ci.
Les
Etats-Unis qui sont un pays protestant en majorité, Israël qui est une nation
religieuse, ont conservé la peine de mort, même si elle est exceptionnelle.
Ce
qui est en cause en particulier aux USA c’est moins la peine en elle-même que
la manière dont elle est distribuée. Cela il faut absolument le modifier. La
peine de mort doit être une justice et elle doit respecter le condamné.
La
vérité, c’est que la France si, comme elle le prétend, elle a abattu un certain
nombre de tyrans, elle a surtout tenté de détruire en elle un espace
indispensable à la survie de l’humain.
Les
principes de la Révolution française, telle la laïcité, les droits de l’homme,
la liberté, tous fondés sur la mort de Dieu et la toute-puissance de la Raison,
n’ont pas été choisis par les français, mais imposés par la dictature jacobine.
La
justice française est l’exemple le plus probant du caractère totalitaire des
structures de la France. Le symbole en est le juge d’instruction tout puissant,
crée par Bonaparte, et qui décide souverainement de l’enfermement des citoyens.
Et
certes, des réformes ont été apportées qui ont réduit la toute-puissance de
celui-ci. Aujourd’hui il lui est adjoint un magistrat au moment de la mise sous
mandat de dépôt : le juge des libertés.
Cependant,
l’identité française construite par la Royauté et l’Eglise, modifiée par la
Révolution et l’Empire, demeure autoritaire, dans la droite ligne de
l’Inquisition.
Une
présomption de culpabilité pèse sur la société française, au-delà des récentes
réformes, qui vient tout droit de l’Inquisition.
Nous
nous situons toujours dans un système inquisitorial face à des pays
anglo-saxons qui se situent eux-mêmes dans un système accusatoire.
Nous
avons vu qu’en France, la droite comme la gauche se rejoignent dans une
complicité négative, à savoir le meurtre du Père, le parricide.
Ce
dont il s’agit aujourd’hui, c’est de reconstruire de la symbolique au centre de
l’Etat.
La
lutte qui intervient aujourd’hui entre la bourgeoisie libérale de sensibilité
davantage anglo-saxonne, et la bourgeoisie conservatrice, symbolise le problème
de la césure. Ces deux bourgeoisies sont complices dans la parricide.
C’est
toujours l’absolu contre la tolérance, la Sorbonne contre l’humanisme, le Collège
de France contre l’Inquisition. La bourgeoisie libérale cherche à faire
prévaloir des idéaux qui se rattachent davantage à la Réforme.
La
haine entre ces deux formes de sensibilité est sans doute pire que celle qu’ils
nourrissent face au socialisme ou aux idéologies qui lui sont proches, la
plupart matérialistes.
Ici
nous sommes dans une authentique guerre de religions.
Il
faut préciser que dans un livre à l’intérieur duquel il exprime sa pensée à
propos de la peine de mort « L’abolition », à aucun moment Robert
Badinter ne s’apitoie sur le sort des victimes. Qu’elles soient égorgées, cela
apparemment ne l’émeut pas. Ce qui le révolte c’est celui du criminel, du
terroriste, celui du guillotiné.
Il
fait par ailleurs siennes les sciences modernes, en particulier la psychanalyse
et la pulsion de mort par laquelle nous serions tous agis. A quelque moment que
ce soit nous pourrions en être la victime. C’est le triomphe de l’inconscient.
C’est
pourquoi il exonère en partie de leur responsabilité les grands prédateurs tels
Barbie et autres criminels de guerre nazis.
Il
ne revient pas sur la condamnation de ce dernier à la prison à vie, celui-là
même qui a envoyé son père à Auschwitz, où il est décédé.
Il
semblerait que Robert Badinter soit pris dans des contradictions difficiles à
démêler entre sa fidélité aux idéaux des Lumières, sa condition de juif et ses
convictions anglo-saxonnes.
En
fait, si la France a été incapable de promouvoir le système de l’Habeas Corpus,
c’est en raison de l’existence même de la philosophie des Lumières et de son
incapacité à penser le divin.
Le
plus important sans doute dans ce débat, c’est le problème de ce que l’on
pourrait nommer celui du « sacrificiel ».
La
peine de mort en effet a longtemps été un supplice. Elle a constitué un rite,
et ce dans toutes les civilisations. Il ne s’agissait pas seulement de punir
mais de « sacrifier » dans la mesure où l’ordre de la Cité avait été
transgressé ou aboli. C’est le mythe d’Antigone.
La
transgression, cela méritait davantage
qu’un châtiment. Il fallait que celui-ci fût exceptionnel, car il devait
empêcher le retour de tels actes qui troublaient l’ordre du monde.
Dans
le sacrifice d’Isaac qui est en un certain sens exemplaire, il est à noter que
si Dieu envoie à Abraham, sur le bûcher, un bélier en place et lieu de son fils
Isaac, c’est parce que celui-ci lui a d’abord obéi inconditionnellement et
était prêt à le lui sacrifier.
En
tout état de cause dans l’abolition de la peine de mort est inscrite la volonté
de rompre avec le sacrificiel. Désormais nous sommes dans le pur rationnel.
Nous passons de la peine capitale, à l’enfermement.
Celui-ci
est censé être davantage humain. Il faudrait questionner à ce sujet des
prisonniers condamnés à passer leur vie entière derrière les barreaux. Seuls,
ils pourraient répondre.
Le
sacrificiel désormais aboli, le nouveau châtiment est sans doute pire que la
mort. Il est glacé, concentrationnaire et à perpétuité. Il a le visage de
l’homme technologique, de l’homme industriel, avec tout l’arsenal des quartiers
de haute sécurité. En fait, l’homme ici n’a plus de visage.
La
mort d’une certaine manière donnait sens à sa vie, à son acte. Elle le hissait
à la hauteur du tragique. Ici il n’y a plus rien. L’homme est devenu une ombre.
ROMAIN
GARY
Dans
« La nuit sera calme », Romain Gary explique qu’il a écrit le texte
qui suit à Majorque où il vivait alors en juin 1972 au moment de l’abolition de
la peine de mort en Californie.
« Les
uns après les autres les pays abolissent la peine de mort. En France des voix
d’hommes épris de justice et de dignité appellent à la suppression que ce que
Casamayor a dénoncé comme une capitulation devant l’instinct de vindicte
populaire. Je voudrais poser ici la question suivante : l’abolition de la
peine capitale est-elle la conséquence d’un progrès moral et social autrement
dit d’un respect accru pour la valeur vie ou est-elle au contraire le résultat
d’une dévalorisation de la vie humaine ?
Mais ne l’oublions pas il y a toujours plus et autre chose qu’un châtiment dans
la peine de mort. Il y avait une infirmation du caractère sacré de la vie. Il
s’agissait par le châtiment suprême d’assigner à la vie humaine une place
suprême.
En
ce sens, il est normal que la peine de mort ait existée à des époques
humanistes puisque la vie humaine était considérée par celle-ci comme une
valeur sacrée.
Il
m’est donc difficile de partager l’optimisme de ceux qui voient aujourd’hui
dans la disparition progressive de la peine de mort le signe d’un progrès. Il
me semble au contraire qu’elle témoigne de la dévalorisation de la vie humaine.
Autrement
dit, la peine de mort est devenue archaïque parce que la vie humaine en tant
que valeur sacrée l’est devenue encore davantage. Le meurtre tend à être
accepté comme un moyen d’expression courant.
Autrement dit, l’abandon de la valeur mort intervient fort logiquement
en même temps que la chute en flèche de la valeur vie. »
Cet
article a été publié dans un ouvrage intitulé « Le 21e siècle sera
spirituel ou le Troisième Temple » aux éditions Apopsix en 2017.