mercredi 8 septembre 2021

A L’OCCASION DU DECES DE JEAN-DENIS BREDIN

J’ai connu Jean-Denis Bredin au Palais de Justice de Paris. Dès alors en 1965, il était célèbre dans le milieu judiciaire aux côtés de son compère Robert Badinter. Ces deux avocats étaient associés et officiaient au 130, rue du faubourg Saint Honoré à Paris. Ils formaient un couple que l’on ne dissociait jamais et ils figuraient d’une certaine manière la réussite professionnelle dans le milieu des avocats.

Il était à la fois un grand juriste, défenseur de causes très importantes, par ailleurs professeur des universités et également écrivain : non pas avocat écrivant, mais authentique auteur.


« L’Affaire », son essai sur l’affaire Dreyfus avait fait date, mais également celui sur l’abbé Sieyès ainsi que ses romans dont « L’absence » et ses récits « Battements de cœur »….


Jean-Denis Bredin était ancien premier secrétaire de la conférence du stage. Il était très brillant. Je l’ai entendu à plusieurs reprises s’exprimer au Palais de Justice dans ce cadre.


Il y avait plus. Il était le fils adoptif du bâtonnier Lemaire qui avait été entre autres l’avocat du maréchal Pétain au côté de Jacques Isorni.  Il avait épousé une femme très fortunée et l’on disait que le vrai père de Jean-Denis Bredin était juif.


Je l’ai rencontré par ailleurs à la foire du livre de Jérusalem en 1989. Ce fut pour moi une occasion de mieux le connaitre et nous convînmes de nous rencontrer à Paris à notre retour.


Je venais justement de terminer le manuscrit « Les Juifs et  l’argent » un essai que je souhaitais voir éditer. C’était une occasion d’en parler à Jean-Denis Bredin qui pourrait sans doute m’aider  par sa notoriété. Nous sommes convenus de nous retrouver au restaurant Le Récamier et je me souviens que nous venions de prendre place lorsque surgit Georges Kiejman qui venait d’être nommé ministre.


Je me rappelle de l’expression du visage de Jean-Denis Bredin à ce moment et du mot affectueux qu’il adressa à Georges Kiejman dont il était l’ami, « mon petit ministre ! ». Nous avons déjeuné ensemble.


J’évoquai auprès de JDB mon essai et il eut l’air très intéressé.


« Génial ! » me dit-il.


A qui voulez-vous que nous l’adressions me demanda-t-il ? Odile Jacob, le Seuil, Grasset ?


Je voyais défiler devant moi tout ce qui jusqu’à présent s’était avéré inaccessible, les grands éditeurs parisiens : un avocat et écrivain célèbre me les offrait tous sur un plateau.


Je ne sus pas exactement lui dire quel éditeur était davantage souhaitable. Je lui faisais confiance.


Nous avons fini par décider de choisir Fayard où officiait alors Olivier Betourné, comme directeur. J’envoyai mon manuscrit à ce dernier de la part de JDB. C’était un label parfait de réussite.


Le problème était que JDB était un homme très occupé et après avoir déjeuné avec lui, le contacter s’avéra impossible.


En tout cas la réponse de Fayard me vint quelque temps après, et assez rapidement : un refus.


J’eus une conversation téléphonique avec Olivier Betourné qui me déclara qu’il avait dans sa maison d’éditions un écrivain apparemment très connu qui écrivait sur le même thème.


J’essayai de contacter JDB. Je n’y parvins pas.


En désespoir de cause, je décidai de précipiter les choses car je croyais très fort en l’idée qui soutenait mon livre et je ne souhaitais pas me la faire dérober.


C’est à ce moment que je décidai de contacter Jacques Derrida que j’avais antérieurement rencontré et qui m’orienta lui-même vers les éditions Galilée qui éditèrent mon livre en 1994.


Ce ne fut qu’ultérieurement que Fayard publia le livre de Jacques Attali « Les Juifs, le monde et l’argent » dans lequel ce dernier s’arrangea pour reprendre ma propre thèse en en faisant un livre commercial.


J’entrepris un procès mais je n’obtins pas gain de cause. Les magistrats se montrèrent frileux En tout cas JDB ne me fut d’aucun secours.


Ma relation avec lui s’espaça.


Entre temps il était entré à l’Académie Française. Son complice Badinter avait lui-même fait carrière et était devenu ministre de la Justice sous Mitterrand. La fille de Bredin elle-même avait été nommée dans le gouvernement constitué par François Mitterrand.


Je gardai des relations avec JDB. Je le voyais de temps en temps.


Plus tard il publia un livre dans lequel il contait son enfance et révélait que son père était juif « Un enfant sage ».


Je trouvai que c’était un peu tard pour se déclarer. Cela n’était pas très courageux contrairement à l’avis de quelques académiciens dont Pierre Rosenberg que Bredin en tant qu’avocat avait « tiré d’affaires » lorsqu’il était Président du musée du Louvre.


En fait Bredin représentait ce que Simone de Beauvoir appela un jour « une morale de l’ambiguïté » : fils d’une mère richissime, père juif occulté ou perdu, autre père célèbre et puissant, lui-même brillant avocat et écrivain, de gauche par-dessus le marché.


Etant associé à Robert Badinter et à Jean-Louis Prat, il émargeait à une somme mensuelle très élevée et avait sa cantine au restaurant Le Récamier.


C’est d’une certaine manière tout ce qui me fascinait chez lui : le non-dit.


Ultérieurement encore, je décidai de me présenter à l’Académie française. C’était un peu fou dans la mesure où je ne connaissais très peu de monde dans ce milieu. Je comptais sur ma relation avec JDB qui apparemment m’aimait bien. Il encouragea ma candidature et j’entrepris les démarches nécessaires, notamment auprès de la Secrétaire perpétuelle, Madame Carrère d’Encausse.



Je reçus quelques encouragements, de la part notamment de Pierre Rosenberg, anciennement Président du Louvre. Le problème est que pour être élu il faut avoir un pouvoir derrière soi, l’Eglise ou autre franc maçonnerie. C’est ce que possédait  mon principal adversaire, Jean Luc Marion qui fut élu au fauteuil du Cardinal Lustiger auquel je m’étais moi-même porté candidat.

Ma candidature était folle. J’en avais conscience, mais d’une part l’Académie elle-même faisait appel à des candidatures. Il y avait crise de vocation. D’autre part j’avais publié beaucoup de poésie, et en la matière j’étais assez seul.


Quoi qu’il en soit là encore,  après m’avoir accueilli avec beaucoup de sympathie JDB me laissa seul. Il était sans doute très occupé. Je me sentis un peu délaissé.


Plus tard encore, à la veille d’une grave opération chirurgicale,  nous avons déjeuné à la Closerie des Lilas.


Jean Denis Bredin était un personnage très raffiné, tout en nuances.  Il était indulgent envers les hommes, mais savait tout de même les mettre à leur juste place. Par exemple en me parlant de Robert Badinter, il me confia que ce dernier souhaitait devenir président de la République.


En ce qui concerne mon procès contre Jacques Attali, il aurait dû en principe me défendre lui-même. C’est lui qui m’avait mis en relation avec les éditions Fayard. Je fus obligé de faire appel à un autre avocat.


JDB avait été vice-président d’un mouvement politique de gauche. Il était par ailleurs la part littéraire du cabinet Badinter/Prat. Badinter en était la part politique.


Je crois que Jean Denis Bredin était avant tout un écrivain. L’absence et Battements de cœur sont de très beaux livres, d’une écriture délicate et raffinée.


Beaucoup d’avocats se disent écrivains parce qu’ils ont publiés un ou deux livres sur l’Histoire ou sur le Droit. Jean Denis Bredin était un authentique écrivain, un écrivain de grande classe.


Edouard Valdman

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