jeudi 16 septembre 2021

A PROPOS D’UN DISCOURS DE ROBERT BADINTER A L’ASSEMBLEE NATIONALE, SUR LA PEINE DE MORT, le 13 septembre 2021

Robert Badinter, avocat, ancien ministre de la justice, ancien président du Conseil Constitutionnel, sénateur, est celui grâce auquel la peine de mort a été abolie. Cette abolition, personne ne viendrait la remettre en cause ou seulement la questionner. Il s’agit là d’un absolu, de quelque chose d’intouchable qu’il a préconisé et dont il a obtenu le vote.

Cette mesure est tout à fait discutable. En effet, ce qui était véritablement en question quand elle a été votée, c’était le statut de la cour d’assises. Celle-ci en effet, constituait le prolongement du tribunal révolutionnaire créé en 1793 par la Convention nationale. Ce tribunal jugeait sans appel. Il était infaillible. Le peuple était censé ne pouvoir se tromper.

Cette infaillibilité du jury de la cour d’assises avait deux siècles lorsque la loi d’abolition de la peine de mort fut votée. Pendant deux siècles, il faut le répéter, la liberté des Français a été suspendue aux décisions sans appel de cette Cour. Le vote accordant la possibilité de faire appel est intervenu sous le gouvernement de Lionel Jospin en 2002, en même temps que celui ayant trait à la présomption d’innocence, soit bien après l’abolition de la peine de mort.

Tel était le véritable enjeu.

Cependant, le vrai problème de la peine de mort, est qu’elle présume une société désacralisée, une société matérialiste qui, faute de certitude et de foi, ne s’autorise plus à condamner à la peine capitale.

Albert Camus et Arthur Koestler l’avaient bien vu dans un livre qui a fait date Réflexions sur la peine capitale. Comment pourrait-on prononcer, disaient-ils, une décision condamnant à la peine capitale dans une société qui a rompu toute relation avec le sacré ?

En ce sens, Robert Badinter a été cohérent avec lui-même, à un petit détail près cependant. Il s’est toujours revendiqué comme « juif » et a signé des tribunes dans le journal Le monde à ce titre. Or, être juif précisément, c’est reconnaitre une relation avec l’espace du Sacré. Sans doute Robert Badinter appartient-il à ce que l’on appelle les Juifs laïcs. Ceux-ci ont fait alliance une fois pour toutes avec la République, avec les Lumières et ceci malgré l’affaire Dreyfus et malgré Vichy.

En fait, l’abolition de la peine de mort est critiquable dans le mépris avec lequel elle traite les criminels eux-mêmes. En effet la mort est parfois le seul châtiment à la hauteur de leur crime. On peut imaginer un criminel s’investissant complètement dans son acte, allant au bout de lui-même, au bout de sa passion, tel Julien Sorel. Le crime peut être un choix par rapport à une situation donnée. Il peut être une vengeance que l’on souhaite assouvir, un amour au bout duquel on souhaite aller. La société n’a pas le droit de voler son crime au criminel. Il peut s’agir pour lui d’un acte de liberté. Lui retirer la possibilité de ce châtiment suprême corollaire de son acte, c’est rabaisser celui-ci.

C’est donc à lui qu’il reviendrait de choisir. Il doit pouvoir revendiquer la mort et considérer que seule celle-ci est à la hauteur de son acte. Encore faut-il qu’il puisse revendiquer cette peine. C’est ce qui s’est passé avec Buffet et Bontemps, les derniers condamnés à mort. Ils ont demandé leur condamnation.

L’abolition résulte d’un parti pris qui semble exprimer un souci humanitaire et qui substitue en fait à une condamnation à mort une peine d’enfermement à plusieurs années de détention. Mais ce sont ces longues peines qui expliquent le nombre considérable de suicides dans les prisons françaises.

Les condamnés à des peines de plusieurs années de prison y trouvent-ils leur compte ? Si on leur posait la question, il est possible qu’ils choisiraient la mort.

Par ailleurs, ces années de prison ont un coût. Nous entretenons des criminels et des terroristes qui, eux, n’ont que mépris pour la vie humaine.

L’abolition de la peine de mort n’est pas nécessairement un progrès vers une humanité plus compatissante. Elle est une faiblesse devant le crime et surtout une difficulté à le penser. Elle est une défaite devant le caractère sacrée de la vie humaine.

En outre, la condition des prisons françaises est depuis toujours un scandale. Robert Badinter, lorsqu’il était ministre, n’a pas réussi à y remédier. La France est régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Ce mépris des Français pour leurs prisons révèle une mentalité intolérante et la Révolution n’a fait qu’accroitre le malaise. Nous vivons toujours sur le principe de l’aveu, cher à l’Inquisition, sur la culpabilité, et ceci demeure au-delà des pétitions de principe.

La loi sur la présomption d’innocence, essentielle, est intervenue récemment pour de mauvaises raisons d’ailleurs. Il s’agissait de venir en aide aux hommes politiques mis en examen. En tous cas, cette présomption établit une procédure fondamentale du droit anglo-saxon, installée en Grande-Bretagne au XVIe siècle, l’Habeas Corpus, qui est le véritable fondement de la démocratie anglaise et de la liberté. N’en déplaise à la gauche française et même à la droite, les Anglais sont en avance sur nous en ce qui concerne celle-ci. Ils ont résisté à Hitler. Quant à Napoléon, ils ont su déceler en lui, au-delà du héros, l’authentique tyran.

Les États-Unis qui sont un pays protestant en majorité, Israël qui est une nation religieuse, ont conservé la peine de mort, même si elle est exceptionnelle. Ce qui est en cause aux États-Unis c’est moins la peine elle-même que la manière dont elle est distribuée. Il s’agit là d’une pratique barbare qu’il faut modifier. La peine de mort doit être une mesure de justice et elle doit respecter le condamné.

La vérité est que la France, si elle a abattu un certain nombre de tyrans, a surtout tenté de détruire en elle un espace indispensable à la survie de l’humain. Les principes de la Révolution française, telle que la laïcité, les droits de l’homme, la liberté, tous fondés sur la mort de Dieu et la toute-puissance de la raison, n’ont pas été choisis par les Français, mais imposés par la dictature jacobine.

La justice française est l’exemple le plus probant du caractère totalitaire des structures de la France. Le symbole en est le juge d’instruction tout puissant, crée par Bonaparte, et qui décide souverainement de l’enfermement des citoyens. Certes, des réformes ont été apportées qui ont réduit la toute-puissance de celui-ci, en particulier par Robert Badinter. Aujourd’hui, il lui est adjoint un magistrat au moment de la mise sous mandat de dépôt : le juge des libertés.

Cependant, l’identité française construite par la royauté et l’Église, modifiée par la Révolution et l’Empire, demeure autoritaire, dans la droite ligne de l’Inquisition. Une présomption de culpabilité pèse sur la société française, au-delà des récentes réformes, c’est toujours l’Inquisition. Nous nous situons toujours dans un système inquisiteur face à des pays anglo-saxons qui évoluent eux-mêmes dans un système accusatoire.

Nous avons vu qu’en France, la droite comme la gauche se rejoignent dans une complicité négative, à savoir le meurtre du père, le parricide. Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de reconstruire la symbolique au centre de l’État. La lutte qui intervient entre la bourgeoisie libérale de sensibilité anglo-saxonne, et la bourgeoisie conservatrice, incarne cette césure.

C’est toujours l’absolu contre la tolérance, la Sorbonne contre l’humanisme, le Collège de France contre l’Inquisition. La bourgeoisie libérale cherche à faire prévaloir des idéaux qui se rattachent davantage à la Réforme.

La peine de mort en effet a longtemps constitué un supplice. Elle a été un rite, et ce dans toutes les civilisations. Il ne s’agissait pas seulement de punir mais de « sacrifier » dans la mesure où l’ordre de la Cité avait été transgressé ou aboli. C’est le mythe d’Antigone.

La transgression méritait davantage qu’un châtiment. Il fallait que celui-ci fût exceptionnel, car il devait empêcher le retour de tels actes qui troublaient l’ordre de la cité et bien plus, l’ordre du monde.

La volonté de rompre avec le sacrificiel est inscrite dans l’abolition de la peine de mort. Désormais, nous nous situons dans la pure rationalité. Nous passons de la peine capitale à l’enfermement. Celui-ci est censé être plus humain. Mais il faudrait questionner à ce sujet des prisonniers condamnés à passer leur vie entière derrière les barreaux. Seuls eux pourraient répondre.

Le sacrificiel désormais aboli, le nouveau châtiment est sans doute pire que la mort. Il est glacé, concentrationnaire, à perpétuité. Il a le visage de l’homme technologique, de l’homme industriel, avec tout l’arsenal des quartiers de haute sécurité. En fait, l’homme ici n’a plus de visage. La condamnation à la peine de mort donnait un sens à sa vie, à son acte. Elle le hissait à la hauteur du tragique. Ici il n’y a plus rien. L’homme est devenu une ombre.

Edouard Valdman

A paraitre : Le drame français


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