J'ai rencontré Komet GOSKUN
dans les années 1970, à la Palette, un café tout à fait charmant situé place Jacques
Calot à Paris, au cœur du quartier de Saint Germain des Prés.
C’était un rendez-vous bohème. Il y avait beaucoup d'artistes et surtout des peintres.
En même temps que Komet, j'y ai connu Azocar, Topor, Dado, Cusin-berche…
Seule ombre au tableau, la présence d'un garçon particulièrement désagréable, Jean François, qui n'avait aucun égard vis à vis de ses clients et que nous étions obligés de supporter. Il ménageait Komet car il pensait que peut-être un jour son œuvre prendrait de la valeur.
Komet venait là chaque soir. A cette époque, il buvait beaucoup et cela lui revenait d’ailleurs assez cher.
Il était d'origine turque. Il habitait au carrefour Vavin, un studio de 20 m2 dont il avait fait son atelier, au 6ème étage d'un immeuble, 210 boulevard Raspail.
C’était un personnage à la Modigliani, fragile, admirablement doué. A l'époque il avait de très longs et épais cheveux, qui lui tressaient comme une couronne autour du visage.
Komet était pauvre. Il était venu de Turquie avec une bourse puis était resté à Paris, sans moyens. Il vivait essentiellement de sa peinture.
J'ai immédiatement éprouvé une passion pour celle-ci et j'ai réussi à la faire acquérir à l'ensemble de mes amis. Avec Komet, j'avais l'impression de revivre l'aventure de Modigliani et de Zobrovski, son ami et marchand.
Je lui achetais régulièrement des tableaux qu'il me cédait à des prix très raisonnables. J'étais un amateur d'art, un apprenti collectionneur.
Komet avait fait ses études à Istanbul puis avait obtenu une bourse pour venir à Paris.
Il s’inscrivait dans une grande tradition, celle des peintres orientaux et des icônes. Komet était athée, mais sa peinture était religieuse, inspirée. Il peignait des visages hallucinés au centre de paysages désertiques.
Dès alors j’achetai à Komet une immense toile qui ne me quitta plus. Elle représentait pour moi un ex voto moderne.
Komet était certes un homme du désert, par cette solitude au cœur de son œuvre, mais il était extrêmement communicatif, et il fréquentait les peintres de son temps.
La compagne de son ami Olivier Olivier dirigeait la Galerie Briance, qui lui fit une très belle place. Il y eut aussi Cérès Franco, à la Galerie L’Œil de Bœuf, rue Quincampoix, qui l’accueillit avec beaucoup de générosité et d’intérêt.
J’allai souvent lui rendre visite dans son atelier du 210 bd Raspail, un 20 m2 dans le ciel.
Je n'ai jamais personnellement été affecté par la peinture dite « tragique », telle celle de Music, par exemple ou celle de Komet. Au contraire, elle me réconforte dans la mesure où elle creuse profondément à l’intérieur de l’humain, et transcende l’horreur.
Que l'on ait pu quérir la beauté si loin à l'intérieur de l’Homme me rassure d'une certaine manière.
Que Komet lui-même ait pu survivre au milieu de tant de difficultés est proprement miraculeux.
Il était peintre seulement et poète. Malheureusement je n'ai jamais pu lire ses poèmes, ne connaissant pas la langue turque.
Je me rendais souvent chez Komet. Je le regardais peindre et nous avions aussi de longues conversations, puis nous descendions et allions boire un verre soit à la Palette, soit au café en bas de son immeuble, le Gymnase.
Komet était aussi très précieux. C'était un aristocrate. Il ne mangeait que des mets choisis, même dans ses moments les plus difficiles.
Quant à la boisson, il se tenait vraiment comme un prince. Il était majestueux. Il dégustait selon un véritable rite.
De temps en temps, il rentrait en Turquie mais revenait vite car il adorait Paris qui était sa vraie patrie.
Komet aimait mes poèmes. Cela me faisait plaisir et m’honorait, car j'avais pour lui la plus haute estime.
Nous avons participé ensemble à un festival de poésie à Aubigny sur Nère, dans le Loiret, au château des Stuarts, auquel participaient entre autres Aragon et d'autres peintres et poètes tels Fassianos qui m’introduisirent auprès de ce dernier
Que l'œuvre de Komet ait pu prendre sa place dans le monde dans lequel nous nous trouvons me rassure. La vérité en fin de compte finit toujours par triompher. Par contre elle est souvent enfouie sous la masse des facilités ou de la médiocrité, et on arrive parfois à douter de son avenir.
Que Komet soit devenu un peintre célèbre, en particulier en Turquie, que son œuvre soit cotée désormais sur le marché international est une performance extraordinaire.
Komet a fini par prendre la nationalité française. Réjouissons-nous car ce sont des immigrés tels que lui dont nous avons besoin. Il est marié à Zennep, elle-même écrivain turque. Il fait toujours les allers et retours entre Istanbul et Paris, il est toujours dans l'interstice, dans l'errance et sa peinture est toujours douce, cruelle et bleu nuit.
La parole de Komet est difficilement audible mais au fond ce n'est pas cela le plus important. Ce n'est même pas sa peinture. Le plus important c'est qu'il est un homme authentique, qui vit et assume ce qu'il fait.
L'aventure de Komet est singulière. D'une certaine manière il est un Saint, un trait d'union entre les hommes, le trait d'union de la beauté.
J'ai un désir fou de le connaître chez lui, à Istanbul, dans son univers. J'ai tardé de venir le voir. Je souhaiterais que ceci se réalise bientôt.
En tous cas, sa célébrité et sa réussite me ravissent.
Elles me rassurent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire