J’ai rencontré Boualem Sansal, écrivain franco-algérien au Salon du Livre de Paris, l’été 2024. Nous avons immédiatement sympathisé, échangé nos coordonnées, et prévu de nous revoir après son retour d’Algérie, à l’automne. Il devait y partir incessamment.
Son
visage, où se lisait une douceur extrême, m’a immédiatement attiré vers lui.
Je
l’ai perdu de vue. Je ne lui ai pas écrit comme il était prévu. C’est son
arrestation qui m’a ramené vers lui.
Boualem
Sansal a été arrêté le 16 novembre 2024 à son arrivée à Alger, entendu par le
Parquet anti-terroriste, placé sous mandat de dépôt pour atteinte à la sureté
de l’Etat, après avoir tenu des propos concernant les frontières entre
l’Algérie et le Maroc.
Il
a comparu le 20 mars 2025 devant le Tribunal correctionnel de El Dar Beida à
Alger. Le procès a duré moins d’une demie heure, et le procureur a requis une
peine de 10 ans de prison ainsi qu’une amende de 1 million de dinars.
L’écrivain était accusé d’atteinte à l’unité nationale, d’outrage à Corps Constitués,
et d’atteinte à l’économie nationale. Il s’agissait d’un conflit d’ordre
géopolitique, l’appartenance d’une partie du Sahara algérien au Maroc.
Son
avocat français a vu son visa refusé. Il était soupçonné d’être juif. Il lui
fut conseillé de le récuser.
Boualem
Sansal décida de se défendre seul.
Le
même avocat dénonça un procès fantôme, tenu dans le plus grand secret, sans
défense, le caractère arbitraire de cette procédure. Il saisit les
organisations compétentes du Haut-Commissariat aux Nations Unies et déposa
plainte contre l’Algérie.
Boualem
Sansal a 83 ans et est atteint d’un cancer.
L’Algérie,
je la connais à travers deux hommes, un Saint et un artiste. Le premier, c’est
le Père de Foucault, officier de cavalerie, explorateur au Maroc, grand
mystique mort à Tamanrasset en Algérie dans le Hoggar, un saint qui aimait très
profondément l’Algérie, et lui a fait le sacrifice de sa vie.
Le
second, c’est Albert Camus. Je l’ai lu très jeune, à vingt ans, il a marqué ma
vie au fer rouge.
C’est
une amie de l’université, Ania, qui m’en a parlé pour la première fois.
« Noces », « L’étranger », « Caligula », « La
peste », tous ses livres m’ont conquis.
Ania
n’était pas sans doute pour rien dans cet amour.
Camus,
je me suis mis à l’aimer d’une même passion.
Au-delà
de son engagement pour l’art, pour la beauté, il y avait la Justice. Camus se
battait pour elle.
Il
travaillait dans le journalisme à un moment où l’Algérie était encore une
colonie. Il dénonçait « la misère de la Kabylie » et préconisait des
réformes. Dès alors il proposait des changements qui allaient dans le sens
d’une plus grande autonomie.
C’était
le temps des massacres de Sétif. Les populations algériennes, ayant servi dans
les rangs de l’armée française durant la dernière guerre, revendiquaient à ce
titre un nouveau statut et une plus grande dignité.
A
Sétif, en 1954, en ce qui concerne ces exigences, on leur répondit par un
massacre. On ne sait toujours pas combien il y eut de victimes, 8 000, 10 000,
sans doute davantage.
En
tout cas, c’est à ce moment-là que fut créé le FLN et que débutèrent les
premiers attentats.
Camus
était un Juste. Immédiatement, il préconisa des réformes et un statut
spécifique pour l’Algérie qui reconnaitrait à ses habitants à la fois une plus
grande dignité et des droits politiques nouveaux.
Malgré
quelques exceptions, il se heurta toujours à l’intransigeance des colons.
« Un
bon colon est un colon mort ! ». Cette phrase de Sartre situe le débat tel
qu’il fut posé dès lors. Les extrémistes de tous bords, colons,
indépendantistes, entrèrent dans l’engrenage de la violence. C’est aussi à ce moment que l’intelligencia française, à
part quelques exceptions comme Camus ou Raymond Aron, s’est déshonorée.
Sartre
en est l’exemple le plus vil.
Au
milieu de ce remue-ménage Camus, tout en continuant à dénoncer, garda son calme.
Il avait de tout temps refusé la violence.
C’est
de ce moment, sans doute, que date la phrase fameuse qui répond à celle de
Sartre « Entre ma mère et la justice, je choisis ma mère ».
Il
répondait par la même à l’autre phrase de Simone de Beauvoir « Camus
refuse de faire le pas dans l’Histoire », à propos de « L’homme
révolté », sans doute le plus grand livre d’Albert Camus. Il démystifiait
précisément ce qu’on appelle l’Histoire, c’est-à-dire les crimes staliniens,
ceux de la bien-pensance.
C’est
à ce moment-là que l’on peut dire que Camus les eut tous sur le dos. Il était
l’homme à abattre puisqu’il choisissait la paix contre le terrorisme.
Il
avait vu dès alors dans quelle direction les nouveaux maîtres entrainaient
l’Algérie, vers une autocratie dans la ligne directe du marxisme.
Quand
de Gaulle arriva au pouvoir en 1958, c’était fini. La guerre avait été gagnée
par la France mais le FLN était incontournable, c’est-à-dire la dictature.
Les
accords d’Evian consacrèrent la fin de l’Algérie française et le départ de
millions de français d’Algérie sans oublier l’horrible massacre des Harkis que
la France a très lâchement abandonnés.
C’est
aussi à ce moment que sur la route de Lourmarin, village de Provence, désormais
lieu de pèlerinage, Camus trouva la mort aux côtés de Michel Gallimard.
Lourmarin
je l’ai connu plus tard et j’ai découvert un lieu magique, cher au cœur
d’Albert Camus qui dort là sous les romarins.
Et
certes l’Algérie a été colonisée. Beaucoup d’injustices ont été commises de la
part des colons, mais l’œuvre des français en Algérie a été grandiose et c’est
d’abord le judéo-christianisme que la France lui a apporté, une religion de
l’amour et une certaine conception de la liberté, face à l’islam totalitaire,
ainsi que les Droits de l’homme.
Quelle
est cette liberté pour laquelle le FLN prétend s’être battu ? Chaque
révolte en Algérie depuis le départ des colons a été noyée dans le sang, toute
tentative de progrès social.
Quand
on voit ce que les algériens ont fait de leur pays, c’est d’abord un sentiment
de honte qui vous saisit, de trahison face aux idéaux pour lesquels un homme
comme Camus s’est battu.
En
ce qui concerne ceux qui aujourd’hui prétendent que nous avons commis des crimes
contre l’humanité, il conviendrait de leur rappeler que lorsque l’Emir Abdelkader
est parti en exil après sa défaite, il emmenait une « smala »
composée avant tout d’esclaves.
Telle
était la conception de la nouvelle Algérie.
Il
ne semble pas qu’elle ait évolué.
Il
n’est pas impossible qu’étant donné les nombreux contentieux qui se déploient
entre l’Algérie et la France, en particulier le refus de cette dernière de
reprendre les condamnés algériens sur le sol français, le pouvoir algérien
souhaite réduire les tensions et qu’une condamnation plus légère soit requise
contre Boualem Sansal et peut-être même une grâce.
Une
grâce pour une infraction qui n’existe pas, ce serait dans une certaine mesure
quelque chose de plus scandaleux qu’un gouvernement français, digne de ce nom, ne
devrait pouvoir tolérer.
Il
est à craindre que ce dernier ne sombre dans l’abjection, comme il l’a fait,
quand il a dénoncé la colonisation française comme un crime contre l’humanité.
Le
28 mars 2025, Boualem Sansal a été condamné à cinq années de prison.
Le 7
juillet 2025, sa condamnation a été confirmée en appel par les autorités
algériennes.
S’ensuivit une longue attente, des prises de positions intempestives, d’un bord à l’autre de la Méditerranée, et une désespérance, d’autant plus que la santé de Boualem Sansal était en cause et que le pire était à craindre. Puis soudain, la « grâce » est annoncée à partir d’une intervention des autorités allemandes. Apparemment la France avait perdu la main. Ce sont les allemands qui emportent la mise, celle de la magnanimité. Boualem Sansal sera libéré pour « raisons humanitaires ».
Le véritable problème dans cette affaire est celui de la « grâce » présidentielle, venant de l’Algérie.
En
effet pour qu’il y ait « grâce », il conviendrait qu’il y ait faute.
Boualem Sansal a toujours nié avoir commis quelque faute que ce soit, vis-à-vis
du gouvernement de l’Algérie. Il n’a fait qu’émettre une opinion. Cette
attitude constitue-t-elle une infraction de nature à engendrer une privation de
liberté de une année ?
En
Algérie, une opinion personnelle qui ne soit pas en accord avec la position du gouvernement,
conduit directement en prison. Il s’agit d’un système dictatorial.
C’est
Boualem Sansal et la France, au contraire, qui devraient exiger du gouvernement
algérien une indemnité substantielle, pour le délit de séquestration pendant un
an, au mépris de tous les droits dits de l’Homme.
En fait, ce qui se joue ici, c’est la confrontation entre deux civilisations, deux peuples, l’un très influencé par l’islam auquel s’ajoutent les relents marxistes de la dernière Révolution.
Tout
le monde se réjouit de la libération de Boualem Sansal. Qu’en est-il cependant
« de la libéralité » du Président algérien ? Ce qui se passe
n’est guère réjouissant. Du côté algérien, il y a eu atteinte grave à la
liberté d’expression et le gouvernement de ce pays devrait être lourdement
condamné par la Cour de La Haye, pour avoir enfreint les lois internationales.
A
ce jour, on ne connait pas la position exacte de Boualem Sansal par rapport à
sa mise en liberté « pour raisons humanitaires ».
Il
lui eut été difficile en tout état de cause de demeurer en prison dans l’état
de fragilité dans lequel il se trouve.
Cependant,
il sera le seul à pouvoir parler de la « grâce » dont il fait
l’objet, de dire s’il l’accepte, s’il la refuse, et s’il entend poursuivre ses
agresseurs.
La
liberté ne s’accorde pas comme un gadget que l’on manipule à sa guise. Il
s’agit de la respiration même des hommes.
On
demandait à Albert Camus : « Peut-on interrompre quelque temps la
liberté pour entreprendre des réforme ? » et celui-ci
répondait : « On n’arrête pas le cœur de l’homme. »
Contrairement
à ce que peuvent penser certains, l’affaire Boualem Sansal ne fait que
commencer.
Quand
il s’agit de la Liberté, il ne peut être question que de vie ou de mort.
Edouard Valdman Ancien Secrétaire de la Conférence du
Stage au Barreau de Paris