Le Front National ne correspond
pas tout à fait à l’image que l’on donne de lui aujourd’hui. Il s’inscrit à
l’intérieur d’une longue tradition du nationalisme français dont les maîtres
furent jadis Maurras, Barrès. Ils étaient antisémites, ce qui a jeté sur
celui-ci un voile de suspicion, en particulier, en considération du
comportement de l’extrême droite française à l’occasion du dernier conflit
mondial.
Il demeure chauvin, anti-européen
et dans une certaine mesure voué à l’exclusion.
Cependant, l’évolution de
l’Eglise catholique et la Repentance qui ressource celle-ci au tronc judaïque,
devraient avoir sur lui une influence décisive. Il est aujourd’hui
pro-israélien et anti-islamique.
Malgré les propos inconsidérés
tenus par Jean-Marie Le Pen, celui-ci n’apparait pas authentiquement
antisémite. En tout cas il demeure le garant de valeurs nationales. Il a sans
doute la nostalgie de la monarchie. Il se veut gardien d’une mémoire française,
de celle de l’Empire.
Si le vote des Français
aujourd’hui s’est porté en majeure partie sur celui-ci, c’est moins en raison
des valeurs qu’il défend que par un rejet de l’Europe telle qu’on la lui
présente et de la gouvernance telle qu’elle est exercée.
Et d’abord de quelle Europe leur parle-t-on ?
Les règles à l’intérieur de
celle-ci sont de plus en plus rigides. On assiste à une désertification des
campagnes due à la prépondérance des sociétés multinationales que l’Europe
devrait juguler et qu’elle ne fait que subir sinon accroitre.
Dans le plus petit village de
France, le commerce a disparu au profit de la grande distribution. La jeunesse
est contrainte de le quitter pour gagner la ville et grossir le prolétariat de
masse.
Or, c’est ici précisément que l’Europe
devrait agir pour sauvegarder le tissu social de base. Elle ne le fait pas. L’opinion
perçoit qu’elle vend l’âme du pays au plus offrant, c’est-à-dire au capitalisme
international
C’est là que le problème se pose,
la préservation de l’âme de la France face à la consommation, qu’elle soit
américaine, chinoise ou autre, et qui tend aujourd’hui à asservir l’univers.
Qu’est-ce que l’Europe ?
Contrairement à ce que l’on pense
communément, elle ne coïncide pas avec la seule idéologie française, en
particulier celle de la Révolution. L’Europe, ce sont avant tout des valeurs
spirituelles.
Les Rois ont fait la France,
ainsi que l’Eglise catholique. Napoléon l’a bien compris, qui, à peine la
Révolution achevée, s’est empressé de signer le Concordat avec le Pape, comprenant
que l’Eglise est un des fondements de la communauté française.
C’est pourquoi faire débuter
l’histoire de la France avec celle de la Révolution comme le fait la gauche
aujourd’hui est une erreur insigne.
L’histoire de la France a plus de
1000 ans, celle de l’Europe également. Les grandes batailles à l’intérieur de
celles-ci ont été des batailles religieuses et spirituelles, celles entre les
catholiques et les protestants, entre les catholiques et l’Islam.
L’Allemagne est protestante, la
Grande Bretagne également, et aujourd’hui la France, avec sa laïcité, fait
piètre figure face à ces pays demeurés religieux.
L’Europe est spirituelle, et le
moindre paradoxe n’est-il pas qu’à Paris, ville des Lumières, tout ce qui est
grand, de Notre Dame au Louvre, est religieux et royal ?
Ce qui nait avec la Révolution française,
c’est la mégalomanie Napoléonienne, son génie et son despotisme et bientôt à sa
suite la ruine et la désolation.
Que représentent les guerres de
Louis XIV comparées à celles de la Révolution et de l’Empire, à celles de 1870,
de 1914 et de 1940 ? Le peuple enfin souverain, à travers ses
représentants, donne là toute sa mesure, le déferlement de l’horreur.
Il n’y a plus de nobles, certes,
mais le bourgeois se montrera beaucoup plus sanguinaire. Il n’a plus que des
intérêts économiques à défendre. Balzac sera le héraut de ce temps. Rimbaud
quittera cette société de boutiquiers et Baudelaire en chantera les odeurs
nauséabondes.
A partir du moment où on a tué le
roi, symbole du Père et de l’autorité et ou on a tenté de tuer Dieu, on est
entré en décadence. Nous sommes au terme de ce chemin, au point zéro de la mort
de Dieu, au bout de la laïcité.
C’est cela la crise de l’Europe. Elle
est avant tout la crise de la France
L’Allemagne, grâce au
protestantisme, à l’instar des Etats Unis, conserve une relation à la
religiosité. C’est celle-ci qui est à la base de son économie florissante.
Ainsi, en Europe, le grand
clivage intervient entre les pays catholiques, les pays protestants et la
France laïque.
Le seul espoir en France :
les mouvements contre le mariage pour tous, gages sans doute d’une spiritualité
renaissante.
Mais l’Europe est bien davantage
que cela. Ici réside une des carences fondamentales des hommes politiques
d’aujourd’hui. Aucun n’évoque ses sources intellectuelles et spirituelles.
L’Europe, c’est d’abord la Grèce,
c’est-à-dire la beauté, l’art et la science. C’est également Rome et le sens de
l’Etat. C’est aussi la chrétienté.
Face au marché américain, au
communisme chinois et à l’empire russe renaissant, elle est d’abord le lieu de
l’harmonie, celui de la beauté et peut être de la démocratie.
Ce que nous devons avant tout
préserver, c’est le sens de l’Homme. C’est nous qui l’avons inventé en même
temps que la dimension Tragique.
Le sens du Tragique ne peut se
résumer à la préservation d’avantages sociaux. Il est avant tout celui de l’héroïsme,
de la présence au monde, de la création au sens le plus élevé du terme
C’est celui qu’évoquent
Nietzsche, Camus. C’est celui que
manifestent Mozart, Bach, tous ceux qui ont fait la grandeur de l’Europe,
contre les asservissements du marché et contre ceux de l’Histoire.
Le dernier cataclysme a durement
secoué l’Europe. De quoi s’est-il agi exactement ?
Le matérialisme marxiste a
constitué à un certain moment un immense danger pour l’Europe, une menace
contre la civilisation
Face à ce détournement d’une
pensée d’origine judaïque mêlée à
l’hégélianisme, la seule opposition de même nature perverse s’est trouvée être
le nazisme.
Deux pensées perverses, habilement
travesties, se sont partagées l’Europe, l’une issue du judaïsme, l’autre
prétendument issue de la Grèce.
L’Europe a trouvé en elle l’énergie
de les combattre et de les vaincre, en alliance avec les Etats Unis et avec la
Russie. Elle s’est redressée. Nous en sommes là.
En tout état de cause, l’Europe
ne pourra se constituer qu’autour de valeurs spirituelles. Elle devra se dire
catholique, protestante, juive, laïque. Elle devra se dire plurielle. Elle ne
pourra triompher que par sa Culture.
Et certes, les impératifs
économiques sont importants. La France doit se libéraliser, renoncer à son
sectarisme bureaucratique et si elle veut conserver ses acquis sociaux, elle ne
pourra le faire qu’à travers une paradoxale flexibilité.
Mais la vraie réforme est celle
de l’Esprit. L’Europe doit revenir à ses sources grecques, romaines,
chrétiennes. Elle doit retrouver le sens du Sacré.
Ce qui est dangereux aujourd’hui
c’est l’absence totale de référence à ces valeurs. Jacques Chirac refusait que
la Constitution européenne ne porte la trace de ses origines chrétiennes.
Jean Marc Ayrault récemment
évoquait « l’absence de spiritualité en France », comme une exigence
politique.
Cependant comme le disait
admirablement Monseigneur André XXIII récemment : « L’Europe n’a pas
besoin de se dire chrétienne. Elle l’est ».
Quant à la démocratie, elle est
un idéal, celui de la mesure, la foi en la collaboration des classes. Elle est
née à Athènes sous Périclès et excluait à ce moment les femmes, les esclaves et
les métèques.
Elle a fait long feu à partir du
moment où cet équilibre n’a pu être sauvegardé, ou Athènes n’a pas su établir
la paix entre les Cités.
De la même manière, à chaque fois
que les contradictions à l’intérieur de la France sont trop fortes, que
l’équilibre entre la droite et la gauche se détériore, la menace d’un régime
autoritaire apparait sous l’égide du Front National
Celui-ci met le doigt en fait sur
la mort du Roi, sur le Parricide et sur le déficit symbolique qui en résulte,
sur le problème du père et de l’autorité.
Il met le doigt sur notre
blessure.
En 1793, nous avons abattu la
royauté et tenté de tuer Dieu. Depuis ce temps nous essayons désespérément de
reconstituer l’image du Père à travers une succession de régimes depuis celui
de Bonaparte jusqu'à la 4ème République qui a sans doute été le régime le plus
impérialiste de la France et qui a créé notre empire.
La France vit ainsi, supportée
par des béquilles, avec la gauche qui revendique l’héritage de la Révolution et
avec la droite qui intègre davantage la mémoire royale et religieuse de la
France
A chaque fois que cet équilibre est
rompu, le parti national gagne du terrain. Il est le refuge des mécontents, des
nostalgiques, des revanchards.
Ce qu’il faut bien comprendre,
c’est que les idéaux de la gauche, c’est-à-dire ceux de la Révolution
française, la laïcité, les Droits de l’Homme, l’égalitarisme sont proches de
ceux du Front National. Tous deux sont les adversaires de l’universalisme, du
cosmopolitisme, du libre-échange, tous deux sont les adversaires du libéralisme.
Tous deux sont des nationalismes et le national-socialisme est l’expression
même de leur alliance.
Si la France entend sauvegarder
ses valeurs, il faut qu’elle retrouve un équilibre entre ces deux grandes
formations, la gauche et la droite.
Il faut que la droite revienne à
ses sources spirituelles et sauvegarde l’héritage religieux de la France, sa
mémoire.
Il faut que la gauche expulse ses
tentations marxistes, sectaires et bureaucratiques
La France doit retrouver à
l’intérieur de l’Europe sa vraie vocation qui est de préserver la mesure, les
valeurs spirituelles venues de la Grèce, de Rome et de la chrétienté, la
dimension tragique.
Telle est sa vocation. Elle ne
doit céder en rien aux appels de la tentation autoritaire, de quelque côté
qu’elle vienne, du matérialisme historique ou du nationalisme chauvin.
Napoléon, Charlemagne, Charles
Quint, tous ont vécu dans la nostalgie de l’Empire romain et tous ont tenté de
reconstruire celui et de bâtir en même temps l’Europe.
Celle-ci est moins un empire territorial
qu’une création de l’esprit. Si nous voulons la protéger contre les tentations
autoritaires de tous les bords, il faut d’abord la reconstruire sur la base de la
tolérance et faire à l’intérieur de celle-ci l’unité entre ces différents
héritages spirituels. Nous devons unir Athènes, Rome et Jérusalem et être
inébranlable sur cette foi.
Quant au problème de
l’immigration, il y a deux facteurs essentiels qu’il convient de considérer.
D’abord il est normal que l’on souhaite pénétrer à l’intérieur de l’union
européenne. Elle est un Eldorado pour beaucoup d’immigrés. Nous devons en être
fiers.
Par ailleurs nos sociétés sont
vieillissantes, nous avons besoin de cet apport plus jeune et plus dynamique.
Mais le véritable problème est celui de notre identité.
De même que les USA ont pu
intégrer de nombreux immigrés parce que leur structure de base était la
religion protestante alliée aux Lumières, nous devons nous même opposer à
l’immigration une identité forte et précise. Nous devons savoir d’abord qui
nous sommes et affronter celle-ci à l’aide d’une véritable identité européenne
basée avant tout sur des valeurs spirituelles.
L’identité française actuelle, la
laïcité est insuffisante pour faire front à ce problème. La citoyenneté
française est un leurre telle que conçue aujourd’hui. Ses principes sont les
mêmes que ceux qui ont été incapables de juguler en 1940 « les extrémismes
de notre temps ». Cette identité s’est effondrée devant Hitler et Staline.
Aujourd’hui notre identité est
négative. Elle est un déni. Elle est un non être.
Seule une identité européenne
puissante peut relever le défi.
Edouard VALDMAN
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